Voir la source de Conjectures de Weil

{{autre|la conjecture portant sur les nombres de Tamagawa|Nombre de Tamagawa{{!}}Conjecture de Weil sur les nombres de Tamagawa}}

En [[mathématiques]], les '''conjectures de Weil''', qui sont [[Conjecture#Définition_et_exemples|devenues]] des théorèmes en 1974, ont été des propositions très influentes à la fin des années 1940 énoncées par [[André Weil]] sur les [[fonction génératrice|fonctions génératrices]] (connues sous le nom de [[fonction zêta locale|fonctions zêta locales]]) déduites du décompte de nombre de points des [[variété algébrique|variétés algébriques]] sur les [[corps fini]]s.

Une variété sur [[Corps fini#Existence et unicité d'un corps fini de cardinal pn|« le » corps à ''q'' éléments]] possède un nombre fini de points sur le corps lui-même, et sur chacune de ses [[Extension finie|extensions finies]]. La fonction zêta locale possède des coefficients dérivés des nombres ''N{{ind|k}}'' de points sur le corps à ''q{{exp|k}}'' éléments.

Weil conjectura que ces fonctions zêta devaient être des [[fonction rationnelle|fonctions rationnelles]], devaient satisfaire une forme d'[[équation fonctionnelle]], et devaient avoir leurs zéros dans des endroits restreints. Les deux dernières parties étaient tout à fait consciemment modélisées sur la [[fonction zêta de Riemann]] et l'[[hypothèse de Riemann]].

== Arrière-plan et histoire ==

En fait, le cas des [[courbe algébrique|courbes]] sur les corps finis a été démontré par Weil lui-même, achevant le projet démarré par le [[théorème de Hasse sur les courbes elliptiques]] sur les corps finis. Les conjectures étaient suffisamment naturelles dans une direction, simplement en proposant que les bonnes propriétés connues seraient étendues. Leur intérêt était suffisamment évident dans la [[théorie des nombres]] : elles impliquaient l'existence d'un mécanisme qui fournirait les limites supérieures pour les [[Somme exponentielle|sommes exponentielles]], un élément de base dans la [[théorie analytique des nombres]].

Ce qui était réellement attirant, à partir du point de vue d'autres domaines mathématiques, était la connexion proposée avec la [[topologie algébrique]]. Étant donné que les corps finis sont ''discrets'' par nature, et que la topologie parle seulement du ''continu'', la formulation détaillée de Weil (basée sur l'élaboration de quelques exemples) était frappante et novatrice. Il suggérait que la géométrie sur les corps finis devait s'ajuster à des motifs bien connus se reliant aux [[nombre de Betti|nombres de Betti]], au [[théorème du point fixe de Lefschetz]], etc.

{{refsou|date=octobre 2011|Weil lui-même n'essaya jamais sérieusement de démontrer les conjectures.}} L'analogie avec la topologie suggérait de concevoir une nouvelle théorie homologique qui s'appliquerait au sein de la [[géométrie algébrique]]. Ceci prit deux décennies (ce fut l'objectif central du travail et de l'école d'[[Alexandre Grothendieck]]) pour l'élaborer sur les suggestions initiales de [[Jean-Pierre Serre|Serre]] et d'autres. La partie rationnelle des conjectures fut démontrée d'abord, par [[Bernard Dwork]] en 1960, en utilisant les méthodes [[nombre p-adique|''p''-adiques]]. Le reste attendit la construction de la [[cohomologie étale]], une théorie dont la définition est relativement profonde. Les démonstrations furent complétées par [[Pierre Deligne]] en 1974, grâce à une méthode très originale, inspirée par la théorie des [[Forme modulaire|formes modulaires]].

Les conjectures de Weil ont, par conséquent, pris leurs places dans la théorie générale (des [[fonction L|fonctions L]], au sens large). Puisque la cohomologie étale possède plusieurs autres applications, ce développement est un exemple des relations entre conjectures (basées sur les exemples et l'intuition), construction d'une théorie, [[résolution de problème]], et avantages inattendus, même dans les parties les plus abstraites des mathématiques pures.

== Énoncé des conjectures de Weil ==

Soit <math>f_1(X_1 , ... , X_r ), ... , f_l (X_1 , ... , X_r)</math> des polynômes à coefficients entiers. On peut projeter ces polynômes dans n'importe quel corps fini <math>F_q</math>, avec <math>q=p^k</math>, en prenant les coefficients de ces polynômes modulo ''p''. En fait, on cherche à étudier les racines d'un système d'équations polynomiales
:<center><math>\left\{\begin{matrix}  f_1(X_1 , ... , X_r )=0 \\ \vdots \\  f_l (X_1 , ... , X_r)=0.\end{matrix}\right.</math>
On peut donc considérer l'ensemble des solutions du système étudié, où les polynômes sont à coefficients dans <math>F_q</math>. Les conjectures de Weil nous donnent de nombreuses informations lorsque l'on s'intéresse au nombre de ces solutions.
Formalisons cette idée.

Ces équations définissent une variété algébrique sur <math>F_q</math>, où ce qui revient au même, un [[morphisme séparé|schéma séparé]] [[morphisme de type fini|de type fini]] sur <math>F_q</math>. En effet, si on considère l'[[idéal]] <math>I=(f_1, ... , f_l)</math> de <math>F_q[X_1, ... , X_r]</math>, soit <math>A=F_q[X_1, ... , X_r]/I</math>, alors le schéma sur <math>F_q</math> est le [[spectre d'anneau]] de A, <math>X=SpecA</math>.
L'ensemble des solutions du système ci-dessus dans <math>{F_q}^r</math> est en [[bijection]] avec <math>Hom_{F_q}(X, F_q)=X(F_q)</math>, de manière que le problème initial devient le calcul de <math>|X(F_q)|</math>.

On notera par la suite <math>X_{0}=|X(F_q)|</math>. Lorsqu'on considérera <math>X_0</math> comme une variété sur <math>F_{q^n}</math>, on notera : <math>X_n=X_0/F_{q^n}</math>.

L'objet essentiel d'étude apparaissant dans les conjectures de Weil est la '''fonction zêta''' de <math>X_n=X_0/F_q</math>, c'est une [[série formelle]] à coefficients rationnels définie comme suit :
: <center><math>Z(X_{0}/F_{q}, T) = \exp\left(\sum_{n = 1}^\infty |X_0(F_{q^n})|\frac{T^n}{n} \right)</math>
où <math>|X_0(F_{q^n})|</math> est le nombre de points <math>F_{q^n}</math>-rationnels de <math>X_n=X_0/F_q</math>, c'est-à-dire le nombre de solutions dans <math>F_{q^n}</math> du système d'équations.

'''Conjectures de Weil''' : Si <math>X_0/F_q</math> est lisse (c'est-à-dire si les équations ne possèdent pas de singularité) et projective (c'est-à-dire si les [[Équation polynomiale|équations polynomiales]] sont homogènes) de dimension d alors:
# Rationalité : <math>Z(X_0/F_q, T)</math> est une fonction rationnelle de T à coefficients dans ℚ. Plus précisément, <center><math>Z(X_0/F_q, T) = \frac{P_1 ... P_{2d-1}}{P_0 ... P_{2d}}. </math></center>De plus, {{nobr|1=''P''<sub>0</sub>(''T'') = 1 − T}}, {{nobr|1=''P''<sub>2''d''</sub>(''T'') = 1 − ''q''<sup>''d''</sup>''T''}}, et pour {{nobr|1 ≤ i ≤ 2d − 1}}, ''P''<sub>''i''</sub>(''T'') ([[polynôme]] de Weil de poids ''i'') est de la forme ∏<sub>''j''</sub> (1-α''<sub>i,j</sub>T'').
# Équation fonctionnelle : il existe des entiers ''e''=±1 et ''K'' tels que :<center><math>Z\left(X_0/F_q,\frac1{q^dT}\right)=e\times q^{\frac{dK}2} \times T^K \times Z(X_0/F_q,T)</math></center>et même, <math>P_{2d-i}(T)=C_iT^{B_i}P_i\left(\frac1{q^dT}\right)</math> avec <math>C_i, B_i</math> entiers.
# Hypothèse de Riemann sur les corps finis : |α<sub>''i,j''</sub>| = ''q''<sup>''i''/2</sup>, autrement dit : tous les zéros de ''P''<sub>''i''</sub>(''q<sup>−s</sup>'') sont sur la « droite critique » des nombres ''s'' de partie réelle ''i''/2.
# Lien avec la topologie : si <math>X_0/F_q</math> est la projection sur <math>F_q</math> d'une [[Variété algébrique projective|variété projective]] complexe non-singulière <math>V^{an}</math>, alors le degré de <math>P_i</math> est le i-ème [[nombre de Betti]] de <math>V^{an}</math>. Plus précisément, soir R un anneau muni d'un morphisme surjectif <math>R \to F_q</math> et d'un morphisme injectif <math>R\to\Complex</math>. Soit M un R-schéma propre et lisse tel que <math>X = M{\otimes_R}F_q </math> et <math>V = M{\otimes_R}\Complex</math>. On a alors pour tout i, <math>B_i={\rm rang}H^i(V^{an},\Z)</math>.

La partie rationnelle (la rationalité de la fonction zêta) fut démontrée par Bernard Dwork en 1959 grâce à des méthodes ''p''-adiques. C'est véritablement le travail de Grothendieck qui inspirera plus tard Deligne pour mettre un point final à la démonstration. En effet, Grothendieck rénove la géométrie algébrique en se lançant dans un travail monumental duquel sortiront ses ''[[Éléments de géométrie algébrique]]''. Par cet ouvrage, d'une extrême généralité, il étend la géométrie algébrique : il l'étend en particulier à l'étude d'équations définies sur des anneaux, et non sur des corps comme on le faisait auparavant, ce qui permet d'attaquer les problèmes posés sur les entiers. Il démontrera ainsi en 1963-1964 les points 1., 2. et 4. par une démonstration différente de celle de Dwork. En ce qui concerne l'hypothèse de Riemann, beaucoup plus délicate, il faut attendre 1973 pour que Pierre Deligne, inspiré surtout par les travaux de Weil, Serre et Grothendieck, propose une démonstration.

== Exemples ==
=== Hypersurfaces diagonales ===
Dans le cas de la fonction <math>f(X,Y,Z)=X^n+Y^n+Z^n</math> le nombre de solutions dans l'espace affine <math>F_{p^s}</math> est donné par :
<center><math>N^{aff}(x^n+y^n+z^n=0) = p^{2s}-\sum_{\chi_i, \chi_j, \chi_k} J_0(\chi_i, \chi_j, \chi_k)</math></center>
où<center><math> J_0(\chi_i, \chi_j, \chi_k) = \sum_{t_i+t_j+t_k=0} -\chi_i(t_i) \chi_j(t_j) \chi_k(t_k)</math></center>et <math>\chi_i,\chi_j,\chi_k</math> sont des caractères additifs non triviaux de <math>F_{p^s}</math> tels que <math>\chi_i\chi_j\chi_k = 1</math>.
Le nombre de solutions dans l'espace projectif, que l'on notera <math>N_s</math>, est alors
<center><math>N_s=N^{proj}(x^n+y^n+z^n=0) = p^{s}+1+\frac{1}{p^s-1}\sum_{\chi_i, \chi_j, \chi_k} J_0(\chi_i, \chi_j, \chi_k)</math></center>
de plus on a :
<center><math>\frac{J_0(\chi_i, \chi_j, \chi_k)}{p^s-1} = -\frac{g(\chi_i)g(\chi_j)g(\chi_k)}{p^s} </math></center>
d'où
<center><math>N_s = p^{s}+1-\sum_{\chi_i, \chi_j, \chi_k} \frac{g(\chi_i)g(\chi_j)g(\chi_k)}{p^s}.</math></center>
On utilise de plus la [[relation de Hasse–Davenport]] pour obtenir cette expression de <math>N_s</math> :
<center><math>N_s = p^{s}+1-\sum_{\chi_i, \chi_j, \chi_k} \frac{(g(\chi_i)g(\chi_j)g(\chi_k))^s}{p^s}</math></center>
qui implique la rationalité de la fonction zêta associé à l'équation <math>X^n+Y^n+Z^n</math> car la fonction zêta est une fraction rationnelle si et seulement si :
<center><math>N_s=\sum_i\beta_i^s-\sum_j\alpha_j^s.</math></center>

=== La droite projective ===
L'exemple le plus simple (autre qu'un point) consiste à prendre ''X'' comme étant la [[droite projective]].
Le nombre de points de ''X'' sur le corps à <math>q^m</math> éléments est simplement <math>N_m = q^m + 1</math> (où le « + 1 » provient du [[point à l'infini]]). La fonction zêta est simplement <math>1/(1 - q^{-s})(1-q^{1-s})</math>. Il est facile de vérifier toutes les parties des conjectures de Weil directement.

=== L'espace projectif ===
Il n'est pas plus difficile de prendre un [[espace projectif]] de dimension ''n''.
Le nombre de points de ''X'' sur le corps à <math>q^m</math> éléments est simplement <math>N_m = 1 + q^m + q^{2m} + \ldots + q^{nm}</math>. La fonction zêta est simplement
: <math>1/(1-q^{-s})(1-q^{1-s})(1-q^{2-s})...(1-q^{n-s})\,</math>.
Il est de nouveau facile de vérifier toutes les parties des conjectures de Weil directement.

La raison pour laquelle la droite projective et l'espace projectif étaient si faciles est qu'ils peuvent être écrits comme des unions disjointes d'un nombre fini de copies d'espaces affines, qui rendent le nombre de points sur eux particulièrement facile à calculer. Il est aussi facile de démontrer les conjectures de Weil pour d'autres espaces, tels que les [[grassmannienne]]s, qui ont la même propriété.

=== Les courbes elliptiques ===
Celles-ci donnent les premiers cas non-triviaux des conjectures de Weil (démontrés par Hasse).
Si ''E'' est une [[courbe elliptique]] sur le corps à ''q'' éléments, alors le nombre de points de ''E'' défini sur le corps à <math>q^m</math> éléments est <math>1 - \alpha^m - \beta^m + q^m</math>,
où α et β sont des complexes conjugués de module {{racine|''q''}}.
La fonction zêta est
<center><math>\zeta(E,s) = (1 -\alpha q^{-s})(1 -\beta q^{-s}) / (1 - q^{-s})(1-q^{1-s}).</math></center>

== La cohomologie de Weil ==

Weil suggéra que les conjectures découlaient de l'existence d'une « [[Cohomologie de Weil|théorie cohomologique de Weil]] » appropriée pour les variétés sur les corps finis, similaire à la cohomologie usuelle à coefficients rationnels pour les [[Variété complexe|variétés complexes]].
Son idée était que si ''F'' est l'[[automorphisme de Frobenius]] sur le corps fini, alors le nombre de points de la variété ''X'' sur le corps d'ordre ''q''<sup>''m''</sup> est le nombre de points fixes de ''F''<sup>''m''</sup> (agissant sur tous les points de la variété ''X'' définie sur la [[clôture algébrique]]). En [[topologie algébrique]], le nombre de points fixés d'un automorphisme peut être établi en utilisant le [[théorème du point fixe de Lefschetz]], donnant une somme alternée des traces sur les groupes de [[cohomologie]]. Donc, s'il existait des groupes cohomologiques similaires pour les variétés sur les corps finis, alors la fonction zêta pourrait être exprimée en termes de ceux-ci.

Le premier problème avec ceci est que le corps de coefficients pour une théorie cohomologique de Weil ne peut pas être le corps des [[nombre rationnel|nombres rationnels]]. Pour voir ceci, considérons le cas d'une [[courbe elliptique supersingulière]] sur un corps fini de caractéristique ''p''. L'anneau des endomorphismes de cette courbe est un [[Ordre (théorie des anneaux)|ordre]] de l'[[algèbre de quaternions]] sur les rationnels, et agirait sur le premier groupe de cohomologie, qui serait un [[espace vectoriel]] de dimension 2 sur le corps de coefficients par analogie avec le cas d'une courbe elliptique complexe. Néanmoins, une algèbre de quaternions sur les rationnels ne peut pas agir sur un espace vectoriel de dimension 2 sur les rationnels. Le même argument élimine la possibilité que le corps de coefficients soit le corps des réels ou les nombres ''p''-adiques, parce que l'algèbre de quaternions est encore une [[algèbre à division]] sur ces corps. Néanmoins, il n'élimine pas la possibilité que le corps de coefficients soit le corps des nombres ℓ-adiques pour quelques [[Nombre premier|nombres premiers]] ℓ différents de ''p'', parce que sur ces corps l'algèbre de division se scinde et devient une algèbre matricielle, qui peut agir sur un espace vectoriel de dimension 2. [[Alexandre Grothendieck]] et [[Michael Artin]] sont parvenus à construire des théories cohomologiques appropriées sur le corps des nombres ''ℓ''-adiques pour chaque nombre premier ''ℓ'' distinct de ''p'', appelée [[Cohomologie étale|cohomologie ℓ-adique]].

== Références ==
{{Traduction/Référence|en|Weil conjectures|84321394}}
* {{en}} André Weil, « [http://www.ams.org/journals/bull/1949-55-05/S0002-9904-1949-09219-4/home.html Numbers of solutions of equations in finite fields] », ''[[Bulletin of the American Mathematical Society|Bull. Amer. Math. Soc.]]'', vol. 55, 1949, p. 497-508
* Pierre Deligne, [http://www.numdam.org/item?id=PMIHES_1974__43__273_0 ''La conjecture de Weil. I.''], [[Publ. Math. IHES]], n° 43, 1974, p. 273-307. [http://www.numdam.org/item?id=PMIHES_1980__52__137_0 ''La conjecture de Weil : II.''], Publ. Math. IHES, n° 52, 1980, p. 137-252
* {{en}} [[Eberhard Freitag]] et {{Lien|langue=de|fr=Reinhardt Kiehl}}, ''Etale cohomology and the Weil conjecture'', coll. « Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete » (3), vol. 13, Springer-Verlag, Berlin, 1988 {{ISBN|0-387-12175-7}}
* {{en}} [[Nicholas Katz]], « An overview of Deligne's work on Hilbert's twenty-first problem », dans ''Mathematical developments arising from Hilbert problems'' (Proc. Sympos. Pure Math., Vol. XXVIII, 1974), [[American Mathematical Society|AMS]], Providence, R. I., 1976, p. 537-557

{{Portail|mathématiques}}

[[Catégorie:Fonction zêta]]
[[Catégorie:Corps fini]]
[[Catégorie:Conjecture démontrée|Weil]]