Voir la source de Découverte du neutron

[[Fichier:Chadwick_Solvay1933.jpg|vignette| [[James Chadwick]] à la [[Congrès Solvay|Conférence Solvay]] de 1933. Chadwick avait découvert le [[neutron]] l'année précédente alors qu'il travaillait au [[laboratoire Cavendish]].]]
La '''découverte du neutron''' et de ses propriétés a été au cœur des développements spectaculaires de la [[physique atomique]] dans la première moitié du {{XXe}} siècle. Au début du siècle, [[Ernest Rutherford]] avait développé un [[Modèle atomique de Rutherford|modèle]] rudimentaire de l'atome<ref name="Pais">{{Ouvrage|prénom1=Abraham|nom1=Pais|titre=Inward Bound|lieu=Oxford|éditeur=Oxford University Press|date=1986|isbn=978-0198519973|lire en ligne=https://archive.org/details/inwardboundofmat00pais_0|accès url=inscription}}</ref>{{rp|188}}{{,}}<ref name="Rutherford">{{Article|auteur1=Rutherford, E.|titre=The Scattering of α and β Particles by Matter and the Structure of the Atom|périodique=[[Philosophical Magazine]]|volume=Series 6|numéro=21|année=1911|doi=10.1080/14786440508637080|lire en ligne=http://www.math.ubc.ca/~cass/rutherford/rutherford669.html|consulté le=15 novembre 2017|pages=669–688}}</ref>, à la suite des résultats de l'[[Expérience de Rutherford|expérience de la feuille d'or]] qu'avaient menée ses deux assistants [[Hans Geiger]] et [[Ernest Marsden]]. Dans ce modèle, les atomes avaient une [[masse]] et une [[charge électrique]] positive concentrées dans un tout petit espace, le [[noyau atomique]]<ref>{{Ouvrage|nom1=Longair, M.S.|titre=Theoretical concepts in physics: an alternative view of theoretical reasoning in physics|éditeur=Cambridge University Press|année=2003|pages totales=377–378|isbn=978-0-521-52878-8|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=bA9Lp2GH6OEC&q=rutherford%20positive%20charge%20concentrated%20nucleus&pg=PA377}}</ref>. En 1920, des [[isotope]]s d'[[Élément chimique|éléments chimiques]] avaient déjà été découverts. Il avait aussi déjà été déterminé que les [[Masse atomique|masses atomiques]] étaient (approximativement) des [[Multiple (mathématiques)|multiples entiers]] de la masse de l'[[atome d'hydrogène]]<ref name="a804629h"/>, et que le [[numéro atomique]] était la charge portée par le noyau<ref name="Byrne">Byrne, J. ''Neutrons, Nuclei, and Matter'', Dover Publications, Mineola, New York, 2011, {{ISBN|0486482383}}</ref>{{rp|§1.1.2}}. Tout au long des années 1920, le noyau était resté considéré comme composé d'une combinaison de [[proton]]s et d'[[électron]]s, les deux seules [[Particule élémentaire|particules élémentaires]] connues à l'époque, mais ce modèle présentait plusieurs contradictions expérimentales et théoriques<ref name="Pais" />{{rp|298}}.

La nature essentielle du noyau atomique a été finalement établie avec la découverte du [[neutron]] par [[James Chadwick]] en 1932<ref name="Neutron">{{Article|auteur1=Chadwick|prénom1=James|titre=Existence of a Neutron|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=136|numéro=830|année=1932|doi=10.1098/rspa.1932.0112|bibcode=1932RSPSA.136..692C|pages=692–708}}</ref> et par la détermination qu'il s'agissait d'une nouvelle particule élémentaire, distincte du proton<ref name="ChadwickGoldhaber">{{Article|auteur1=Chadwick|prénom1=J.|auteur2=Goldhaber|prénom2=M.|titre=A nuclear photoelectric effect|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=151|numéro=873|année=1935|doi=10.1098/rspa.1935.0162|bibcode=1935RSPSA.151..479C|pages=479–493}}</ref>{{,}}<ref name="NucEl">{{Ouvrage|prénom1=Roger H.|nom1=Stuewer|titre=Otto Hahn and the Rise of Nuclear Physics|lieu=Dordrecht, Holland|éditeur=D. Riedel Publishing Company|date=1983|pages totales=19–67|isbn=978-90-277-1584-5|titre chapitre=The Nuclear Electron Hypothesis}}</ref>{{rp|55}}.

Le neutron a immédiatement été exploité comme un nouveau moyen pour sonder la structure nucléaire, conduisant à des découvertes telles que la création de nouveaux éléments [[Radioactivité|radioactifs]] par irradiation de neutrons (1934), ainsi que la [[Fission nucléaire|fission]] des atomes d'[[uranium]] par les neutrons (1938)<ref name="Rife">{{Ouvrage|nom1=Rife, Patricia|titre=Lise Meitner and the dawn of the nuclear age|lieu=Basel, Switzerland|éditeur=Birkhäuser|année=1999|isbn=978-0-8176-3732-3|lire en ligne=https://archive.org/details/lisemeitnerdawno0000rife|accès url=inscription}}</ref>. La découverte de la fission a conduit au développement de l'[[énergie nucléaire]] et des [[Arme nucléaire|armes nucléaires]] à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le proton et le neutron ont été considérés comme des particules élémentaires jusqu'aux années 1960, lorsqu'il a été déterminé qu'ils étaient en fait des particules composites construites à partir des [[quark]]s<ref name="Perk">{{ouvrage | nom1 = Perkins | prénom1 = Donald H. | titre = Introduction to High Energy Physics | pages = [https://archive.org/details/introductiontohi0000perk/page/201 201–202] | éditeur = Addison Wesley, Reading, Massachusetts | année = 1982 | isbn = 978-0-201-05757-7 | lire en ligne = https://archive.org/details/introductiontohi0000perk/page/201 }}</ref>.

== Découverte de la radioactivité ==
Au début du {{XXe}} siècle, le débat vigoureux sur l'existence des atomes n'était toujours pas résolu. Des philosophes comme [[Ernst Mach]] et [[Wilhelm Ostwald]] niaient la réalité des atomes, les considérant comme une construction mathématique pratique, alors que d'autres scientifiques, comme [[Arnold Sommerfeld]] et [[Ludwig Boltzmann]], voyaient que les théories physiques avaient besoin de l'existence des atomes<ref name="Rife"/>{{rp|13-14}}.

La [[radioactivité]] avait été découverte en 1896 par le scientifique français [[Henri Becquerel]], alors qu'il travaillait avec des matériaux [[Phosphorescence|phosphorescents]]. En 1898, [[Ernest Rutherford]] du [[laboratoire Cavendish]] distinguait deux types de radioactivité, les [[Particule α|rayons alpha]] et les [[Particule β|rayons bêta]], qui différaient par leur capacité à pénétrer à travers les objets ou les gaz ordinaires. Deux ans plus tard, [[Paul Villard]] découvrait les [[Rayon gamma|rayons gamma]], qui possédaient un pouvoir de pénétration encore plus grand<ref name="Pais"/>{{rp|8–9}}. Ces rayonnements ont été rapidement identifiés comme étant des particules connues : en 1902, [[Walter Kaufmann (physicien)|Walter Kaufmann]] montrait que les rayons bêta étaient des électrons ; en 1907, c'est Rutherford et [[Thomas Royds]] qui montraient que les rayons alpha étaient des noyaux d'hélium ; et finalement, Rutherford et [[Edward Andrade]] montraient en 1914 que les rayons gamma étaient des rayonnements électromagnétiques, c'est-à-dire une forme de [[lumière]]<ref name="Pais"/>{{rp|61–62, 87}}. Ces rayonnements avaient également été identifiés comme émanant des atomes, et fournissaient donc des indices sur les processus se produisant au sein des atomes. Inversement, il avait été reconnu que les rayonnements pouvaient servir d'outils permettant de sonder l'intérieur des atomes au cours d'expériences de diffusion<ref name="Malley">{{ouvrage| nom =Malley
 | prénom =Marjorie
 | titre =Radioactivity: A History of a Mysterious Science
 | éditeur =Oxford University Press
 | année =2011
 | numéro d'édition =illustrated
 | isbn =9780199766413}}</ref>{{rp|112–115}}.

== Expérience de la feuille d'or et découverte du noyau atomique ==
{{article connexe|Théorie atomique|Modèle atomique de Thomson}}
[[Fichier:Beta-minus_Decay.svg|vignette|360x360px| Un schéma du [[noyau atomique]] indiquant un rayonnement &#x3B2;<span style="display:inline-block;margin-bottom:-0.3em;vertical-align:0.8em;line-height:1.0em;font-size:80%;text-align:left"><span style="font-size:inherit;line-height:inherit;vertical-align:baseline">&#x2212;</span></span>, l'émission d'un électron rapide du noyau (l'antineutrino qui l'accompagne est omis). Dans le modèle de Rutherford du noyau, les sphères rouges étaient des protons avec une charge positive, alors que les sphères bleues étaient des protons étroitement liés à un électron, et donc sans charge nette.<br />L'encart montre la désintégration bêta d'un neutron libre tel qu'elle est comprise aujourd'hui : le neutron se désintègre en un proton, alors qu'un électron et un antineutrino sont créés lors du processus.]]
À l'[[Université de Manchester]], entre 1908 et 1913, Rutherford avait orienté ses assistants [[Hans Geiger]] et [[Ernest Marsden]] vers une série d'expériences dont le but était de déterminer ce qui se passait lorsque des [[Particule α|particules alpha]] diffusaient sur une feuille de métal. Aujourd'hui connues sous le terme d'« [[Expérience de Rutherford|expérience de la feuille d'or de Rutherford]] », ou d'« expérience de Geiger-Marsden », ces mesures avaient permis la découverte extraordinaire suivante : bien que la plupart des particules alpha traversant la feuille d'or ne subissent qu'une déviation faible, quelques-unes sont [[Diffusion Rutherford|diffusées]] sous un angle important. La diffusion indiquait que certaines des particules alpha rebondissaient sur un composant petit mais dense devant se trouver à l'intérieur des atomes. En 1911, sur la base de ces résultats, il était devenu évident pour Rutherford que l'atome devait consister en un petit noyau massif, de charge positive, entouré d'un nuage d'[[électron]]s beaucoup plus grand, chargés négativement. La concentration de la masse atomique était nécessaire pour expliquer la déviation des particules alpha que l'on observait. Rutherford développa alors un modèle mathématique qui tenait compte de cette diffusion<ref name="Rutherford"/>.

Le modèle de Rutherford était très influent. Il motiva le [[modèle de Bohr]] pour des électrons décrivant des orbites autour du noyau en 1913<ref name="bohr1">{{Article|auteur1=Bohr, N.|titre=On the Constitution of Atoms and Molecules, Part I|périodique=[[Philosophical Magazine]]|volume=26|numéro=151|année=1913|doi=10.1080/14786441308634955|bibcode=1913PMag...26....1B|lire en ligne=http://web.ihep.su/dbserv/compas/src/bohr13/eng.pdf|pages=1–24}}</ref> et il conduisit finalement à la [[mécanique quantique]] vers le milieu des années 1920.

== Découverte des isotopes ==
Parallèlement aux travaux de Rutherford et de ses assistants, le [[Radiochimie|radiochimiste]] [[Frederick Soddy]] de l'[[Université de Glasgow]] étudiait les problèmes liés à la chimie des matériaux radioactifs. Soddy avait travaillé avec Rutherford sur la radioactivité à l'[[Université McGill]]<ref name="Nobel">{{Lien web |titre=The Nobel Prize in Chemistry 1921 – Frederick Soddy Biographical |url=https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1921/soddy-bio.html |éditeur=Nobelprize.org |consulté le=5 septembre 2019}}</ref>. En 1910, environ 40 éléments radioactifs différents, appelés ''radioéléments'', avaient été identifiés entre le plomb et l'uranium, bien que le tableau périodique n'autorise que 11 éléments. En 1913, Soddy et [[Kazimierz Fajans]] découvraient indépendamment qu'un élément subissant une désintégration alpha produisait un élément situé deux places vers la gauche dans le tableau périodique, et qu'un élément subissant une désintégration bêta produisait un élément situé une place vers la droite. De plus, les radioéléments qui résidaient aux mêmes endroits dans le tableau périodique étaient chimiquement identiques. Soddy appela ces éléments chimiquement identiques des [[isotope]]s<ref>{{ouvrage| nom1 =Choppin
 | prénom1 =Gregory
 | nom2 =Liljenzin
 | prénom2 =Jan-Olov
 | nom3 =Rydberg
 | prénom3 =Jan
 | titre =Radiochemistry and Nuclear Chemistry
 | éditeur = Academic Press
 | année =2013
 | numéro d'édition =4th
 | isbn =978-0124058972}}</ref>{{rp|3–5}}<ref>D'autres avaient également suggéré la possibilité des isotopes. Par exemple :
*Strömholm, D. and Svedberg, T. (1909) "Untersuchungen über die Chemie der radioactiven Grundstoffe II." (Investigations sur la chimie des éléments radioactifs, Deuxième partie), ''Zeitschrift für anorganischen Chemie'', '''63''': 197–206; voir tout particulièrement page 206.
*Cameron, Alexander Thomas (1910). ''Radiochemistry''. London, England: J. M. Dent & Sons, p. 141. (Cameron avait également anticipé la loi de déplacement.)</ref>. Pour son étude de la radioactivité et pour sa découverte des isotopes, Soddy reçu le prix Nobel de chimie en 1921<ref>{{Lien web |titre=The Nobel Prize in Chemistry 1921: Frederick Soddy – Biographical |url=https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1921/soddy-bio.html |éditeur=Nobelprize.org |consulté le=16 mars 2014}}</ref>.
[[Fichier:Early_Mass_Spectrometer_(replica).jpg|vignette|400x400px| Réplique du troisième [[Spectrométrie de masse|spectromètre de masse]] d'Aston]]
S'appuyant sur les travaux de [[Joseph John Thomson|JJ Thomson]] sur la déviation des atomes chargés positivement par des [[Champ électrique|champs électriques]] et magnétiques, [[Francis William Aston|Francis Aston]] avait construit le premier [[Spectrométrie de masse|spectromètre de masse]] au laboratoire Cavendish en 1919. Son but, qu'il atteignit facilement, était de séparer les deux isotopes du [[néon]], <sup>20</sup>Ne et <sup>22</sup>Ne. Aston avait découvert que les masses de toutes les particules étaient des nombres entiers (c'est la règle du nombre entier), c'est-à-dire que les masses de tous les isotopes étaient des multiples entiers de la masse de l'atome d'[[hydrogène]]. Lors de ces mesures, Aston calculait arbitrairement les masses par rapport à celle de l'[[oxygène]] 16, qu'il prenait comme ayant une masse de valeur 16 exactement<ref name="a804629h">{{Article|auteur1=Squires|prénom1=Gordon|titre=Francis Aston and the mass spectrograph|périodique=[[Dalton Transactions]]|numéro=23|année=1998|doi=10.1039/a804629h|pages=3893–3900}}</ref> lorsqu'elle était exprimée en unité de masse atomique (uma). (Aujourd'hui, on utilise l'[[unité de masse atomique unifiée]], de symbole « u », pour mesurer les masses atomiques<ref>{{lien web|url=http://www.iupac.org/publications/ci/2004/2601/1_holden.html|titre=Atomic Weights and the International Committee — A Historical Review|date=26 January 2004}}</ref>.) Ironiquement, la seule exception à cette règle était pour l'hydrogène qui avait une masse de valeur 1,008. L'excès de masse était faible, mais bien en dehors de l'incertitude expérimentale. Aston et d'autres scientifiques avaient rapidement réalisé que l'écart devait être dû à l'énergie de liaison dans les noyaux, c'est-à-dire que la masse d'un certain nombre de particules liés en un seul noyau devait être inférieure à la somme des masses des particules séparées, ce qui ne marchait pas dans le cas de l'hydrogène, son noyau n'étant composé que d'un seul proton<ref name="a804629h"/>. Les travaux d'Aston lui ont valu le prix Nobel de chimie en 1922 pour la découverte de nombreux isotopes d'éléments non radioactifs, ainsi que pour son énonciation de la règle du nombre entier<ref>{{Lien web |titre=The Nobel Prize in Chemistry 1922: Francis W. Aston – Biographical |url=https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1922/aston-bio.html |éditeur=Nobelprize.org |consulté le=18 novembre 2017}}</ref>. Notant la découverte récente d'Aston relative à l'énergie de liaison nucléaire, [[Arthur Eddington]] suggéra en 1920 que les étoiles pourraient obtenir leur énergie en fusionnant de l'hydrogène (des protons) en hélium et que les éléments les plus lourds pourraient se former dans les étoiles<ref>{{Article|auteur1=Eddington|prénom1=A. S.|titre=The Internal Constitution of the Stars|périodique=[[Nature (journal)|Nature]]|volume=106|numéro=2653|année=1920|pmid=17747682|doi=10.1038/106014a0|bibcode=1920Natur.106...14E|lire en ligne=https://www.nature.com/articles/106014a0.pdf|pages=233–40|s2cid=36422819}}</ref>.

== Numéro atomique et loi de Moseley ==
Rutherford et d'autres scientifiques avaient noté la disparité entre la masse d'un atome, lorsqu'elle était exprimée en unités de masse atomique, et la charge approximative du noyau, telle qu'elle était requise pour que le modèle de Rutherford puisse fonctionner. La charge du noyau atomique était généralement d'environ la moitié de sa masse atomique<ref name="Heilbron">
{{Ouvrage|prénom1=J. L.|nom1=Heilbron|titre=H.G.J. Moseley: The Life and Letters of an English Physicist, 1887–1915|éditeur=University of California Press|année=1974|isbn=0520023757}}</ref>{{rp|82}}. [[Antonius van den Broek]] avait alors émis l'hypothèse audacieuse que la charge du noyau, notée ''Z'', ne serait pas la moitié du poids atomique de l'élément, mais était plutôt égale exactement à sa position ordinale dans le [[Tableau périodique des éléments|tableau périodique]]<ref name="Pais"/>{{rp|228}}. À cette époque, la position des éléments dans le tableau périodique n'avait pas encore été reconnue comme ayant une quelconque signification physique. Par contre, si les éléments étaient ordonnés selon leur masse atomique croissante, une périodicité des propriétés chimiques apparaissait. Cependant, il existait des exceptions à cette périodicité, comme par exemple pour le cobalt et le nickel qui n'étaient pas dans le bon ordre{{Efn|Le numéro atomique et la masse atomique pour le cobalt sont respectivement de 27 et de 58,97, pour le nickel ils sont respectivement de 28 et de 58,68.}}{{,}}<ref name="Pais1993">{{ouvrage|auteur=Abraham Pais|titre=Niels Bohr's Times: In Physics, Philosophy, and Polity|url=https://archive.org/details/nielsbohrstimesi0000pais|accès url=inscription|année=1991|éditeur=Oxford University Press|isbn=0-19-852049-2}}</ref>{{rp|180}}.

À l'[[Université de Manchester]], en 1913, [[Henry Moseley]] avait discuté avec Bohr, lors d'une de ses visites, de son nouveau [[Modèle de Bohr|modèle d'atome]]<ref name="Heilbron"/>. Le modèle tenait compte du [[spectre électromagnétique]] d'émission de l'atome d'hydrogène, et les deux confrères se sont demandé si les spectres d'émission des éléments plus lourds, tels que le cobalt ou le nickel, suivaient leur ordre en fonction de leur poids ou en fonction de leur position dans le tableau périodique<ref>{{ouvrage| nom =Heilbron
 | prénom =John
 | titre =The Work of H. G. J. Moseley
 | journal =Isis
 | volume =57
 | numéro =3
 | pages =336–364
 | année =1966
 | jstor =228365
| doi =10.1086/350143
 | s2cid =144765815
 }}</ref>{{rp|346}}. En 1913-1914, Moseley avait fait des tests expérimentaux sur la question en utilisant des techniques de [[Loi de Bragg|diffraction des rayons X]]. Il avait alors découvert que la raie la plus intense (que l'on appelle la raie K-alpha) des [[Longueur d'onde|longueurs d'onde]] courtes du spectre des rayons X d'un élément particulier, était liée à la position de l'élément dans le tableau périodique, c'est-à-dire à son numéro atomique ''Z.'' C'est Moseley qui a introduit cette nomenclature<ref name="Byrne"/>{{rp|§1.1.2}}. Il avait découvert que les fréquences du rayonnement d'un grand nombre d'éléments étaient liées de manière simple à leur numéro atomique<ref>{{Article|auteur1=Moseley|prénom1=Henry G. J.|titre=The High Frequency Spectra of the Elements|périodique=[[Philosophical Magazine]]|volume=26|numéro=156|année=1913|doi=10.1080/14786441308635052|lire en ligne=https://zenodo.org/record/1430926|pages=1024–1034}}</ref>{{,}}<ref name="Byrne"/>{{rp|5}}{{,}}<ref name="Pais1993"/>{{rp|181}}.

En moins d'un an, il avait été établi que l'équation de cette relation, que l'on appelle aujourd'hui la [[loi de Moseley]], pouvait s'expliquer en termes du modèle de Bohr de 1913, avec des hypothèses supplémentaires raisonnables sur la structure atomique d'autres éléments<ref>{{ouvrage| nom =Bernard
 | prénom =Jaffe
 | titre =Moseley and the numbering of the elements
 | éditeur =Doubleday
 | année =1971
 | url =https://archive.org/details/moseleynumbering00jaff
 | asin =B009I5KZGM
}}</ref>{{rp|87}}. Le résultat de Moseley, d'après un compte rendu ultérieur de Bohr, avait non seulement établi le numéro atomique comme une quantité expérimentale mesurable, mais lui avait également donné une signification physique en tant que charge positive contenue dans le noyau atomique. Les éléments pouvaient alors être classés dans le [[Tableau périodique des éléments|système périodique]] par ordre de numéro atomique, plutôt que par poids atomique<ref>{{ouvrage| nom =Born
 | prénom =Max
 | titre =Atomic Physics
 | éditeur =Courier Corporation
 | année =2013
 | numéro d'édition =8th
 | isbn =9780486318585
}}</ref>{{rp|127}}. Le résultat avait apporté une plus grande cohésion entre l'organisation du tableau périodique, le modèle de Bohr de l'atome<ref name="Kragh2002">{{Ouvrage|prénom1=Helge|nom1=Kragh|titre=Quantum Generations: A History of Physics in the Twentieth Century|éditeur=Reprint|date=2002|isbn=978-0691095523}}</ref>{{rp|56}}, et le modèle de Rutherford de la diffusion des particules alpha par les noyaux. Il avait été qualifié par Rutherford, Bohr et d'autres scientifiques comme étant une avancée critique dans la compréhension de la nature du noyau atomique<ref>{{Lien web |titre=Oral History Interview: Niels Bohr, Session I |url=https://www.aip.org/history-programs/niels-bohr-library/oral-histories/4517-1 |éditeur=[[American Institute of Physics]], Niels Bohr Library and Archives |date=31 October 1962 |consulté le=25 octobre 2017}}</ref>.

Les recherches en physique atomique ont été interrompues au déclenchement de la [[Première Guerre mondiale]]. Moseley a été tué en 1915 à la [[Bataille des Dardanelles|bataille de Gallipoli]]<ref>{{Lien web |auteur=Reynosa |prénom=Peter |titre=An Ode to Henry Moseley |url=http://www.huffingtonpost.com/peter-reynosa/an-ode-to-henry-moseley_b_8924690.html |éditeur=Huffington Post |date=7 January 2016 |consulté le=16 novembre 2017}}</ref>{{,}}<ref name="Pais1993"/>{{rp|182}}, tandis que l'étudiant de Rutherford, [[James Chadwick]], était interné en Allemagne pendant toute la durée de la guerre, de 1914 à 1918<ref name="APSNews">{{Article|titre=This Month in Physics History: May 1932: Chadwick reports the discovery of the neutron|périodique=APS News|volume=16|numéro=5|année=2007|lire en ligne=http://www.aps.org/publications/apsnews/200705/physicshistory.cfm|consulté le=16 novembre 2017}}</ref>. A Berlin, les travaux de recherche de [[Lise Meitner]] et d'[[Otto Hahn]] sur la détermination des [[Chaîne de désintégration|chaînes de désintégration]] radioactive du radium et de l'uranium par séparation chimique avaient été interrompus<ref name="Rife"/>{{rp|§4}}. Meitner avait passé une grande partie de la guerre à travailler comme [[Radiologie médicale|radiologue]], en tant que technicienne des rayons X médicaux, près du front autrichien, tandis que Hahn, un [[chimiste]], faisait de la recherche sur les [[Gaz de combat de la Première Guerre mondiale|gaz de combats toxiques]]<ref name="Rife"/>{{rp|61–62, 68}}.

== L'atome de Rutherford ==
[[Fichier:Sir_Ernest_Rutherford_LCCN2014716719_-_restoration1.jpg|vignette| Ernest Rutherford]]
{{ Article connexe |Proton}}
En 1920, Rutherford avait donné une conférence Bakerian à la [[Royal Society]] intitulée « ''Nuclear Constitution of Atoms'' », qui résumait les expériences récentes sur les noyaux atomiques et les conclusions sur leur structure<ref name="BakLec">{{Article|auteur1=Rutherford, E.|titre=Bakerian Lecture: Nuclear Constitution of Atoms|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=97|numéro=686|année=1920|doi=10.1098/rspa.1920.0040|bibcode=1920RSPSA..97..374R|pages=374–400}}</ref>{{,}}<ref name="NucEl"/>{{rp|23}}{{,}}<ref name="Byrne"/>{{rp|5}}. En 1920, l'existence des électrons au sein du noyau atomique était encore largement admise. On supposait que le noyau de l'atome était constitué de noyaux d'hydrogène en nombre égal à la masse atomique. Mais puisque chaque noyau d'hydrogène avait une charge +1, le noyau devait avoir un nombre plus petit « d'électrons internes », chacun ayant une charge -1, pour donner au noyau sa charge totale correcte. La masse des protons étant environ 1800 fois supérieure à celle des électrons, la masse des électrons était accessoire dans ce calcul<ref name="Pais"/>{{rp|230–231}}. Un tel modèle était cohérent avec la diffusion des particules alpha sur les noyaux lourds, ainsi qu'avec la charge et la masse des nombreux isotopes qui avaient été identifiés. Il y avait d'autre motivations pour un modèle proton-électron du noyau. Comme le notait Rutherford à l'époque : « Nous avons de fortes raisons de croire que les noyaux des atomes contiennent des électrons ainsi que des corps chargés positivement... »<ref name="BakLec"/>{{rp|376–377}}. En effet, on savait que le [[Particule β|rayonnement bêta]] correspondait à des électrons émis par le noyau<ref name="NucEl"/>{{rp|21}}{{,}}<ref name="Byrne"/>{{rp|5–6}}.

Au cours de cette conférence, Rutherford avait conjecturé l'existence de nouvelles particules. La particule alpha était connue pour être très stable et on supposait qu'elle devait conserver son identité au sein du noyau. On pensait alors qu'une particule alpha devait être constituée de quatre protons et de deux électrons étroitement liés pour lui donner sa charge +2 et sa masse 4. Dans un article de 1919<ref name="X++">{{Article|auteur1=Rutherford, E.|titre=Collision of α particles with light atoms|périodique=[[Philosophical Magazine]]|volume=37|année=1919|pages=571}}</ref>, Rutherford avait rapporté la découverte apparente d'une nouvelle particule de charge +2 et de masse 3, qu'il avait notée X++, et qui devait être composée de trois protons et d'un électron étroitement lié. Ce résultat avait suggéré à Rutherford l'existence probable de deux nouvelles particules : l'une constituée de deux protons et d'un électron étroitement lié, et l'autre composée d'un proton et d'un électron étroitement lié (et donc de charge nulle). Il a été déterminé par la suite que la particule X++ avait une masse de 4 et qu'elle n'était rien d'autre qu'une particule alpha de faible énergie<ref name="NucEl"/>{{rp|25}}. Malgré tout, Rutherford avait conjecturé l'existence du deutéron, une particule de charge +1 et de masse 2, et surtout du neutron, une particule neutre de masse 1<ref name="BakLec"/>{{rp|396}}. Le deutéron n'était autre que le noyau du [[deutérium]], qui sera découvert en 1931 par [[Harold Clayton Urey|Harold Urey]]<ref>{{Article|auteur1=Urey|prénom1=H.|auteur2=Brickwedde|prénom2=F.|auteur3=Murphy|prénom3=G.|titre=A Hydrogen Isotope of Mass 2|périodique=[[Physical Review]]|volume=39|numéro=1|année=1932|doi=10.1103/PhysRev.39.164|bibcode=1932PhRv...39..164U|pages=164–165}}</ref>. En ce qui concerne la particule neutre hypothétique, elle devait avoir une masse peu différente de celle du proton. Rutherford avait déterminé qu'une telle particule sans charge serait difficile à détecter par les techniques disponibles<ref name="BakLec"/>{{rp|396}}.

À peu près au même moment que Rutherford tenait sa conférence, d'autres publications étaient apparues avec des suggestions similaires pour un composite proton-électron dans le noyau. En 1921, [[William Draper Harkins|William Harkins]], un chimiste américain, donnait à la particule non chargée le nom de « ''neutron'' »<ref name="FeathHist">{{Article|auteur1=Feather, N.|titre=A history of neutrons and nuclei. Part 1|périodique=Contemporary Physics|volume=1|numéro=3|année=1960|doi=10.1080/00107516008202611|bibcode=1960ConPh...1..191F|pages=191–203}}</ref>{{,}}<ref>{{Article|auteur1=Harkins|prénom1=William|titre=The constitution and stability of atomic nuclei. (A contribution to the subject of inorganic evolution.)|périodique=[[Philosophical Magazine]]|volume=42|numéro=249|date=1921|doi=10.1080/14786442108633770|pages=305}}</ref>{{,}}<ref name="Glasson">{{Article|auteur1=Glasson, J.L.|titre=Attempts to detect the presence of neutrons in a discharge tube|périodique=[[Philosophical Magazine]]|volume=42|numéro=250|année=1921|doi=10.1080/14786442108633801|lire en ligne=https://zenodo.org/record/1430955|pages=596}}</ref>{{,}}<ref name="Byrne"/>{{rp|6}}. À peu près à la même époque, le mot « ''proton'' » avait été adopté pour désigner le noyau d'hydrogène<ref>Rutherford reported acceptance by the ''British Association'' of the word proton for the hydrogen nucleus in a footnote to {{Article|auteur1=Masson|prénom1=O.|titre=XXIV. The constitution of atoms|périodique=[[Philosophical Magazine]]|série=Series 6|volume=41|numéro=242|année=1921|doi=10.1080/14786442108636219|lire en ligne=https://zenodo.org/record/1430963|pages=281–285}}</ref>. Le mot « ''neutron'' » a apparemment été construit à partir de la racine [[latin]]e pour « ''neutre'' » et de la terminaison [[grec]]que ''-on'' (par imitation des noms « ''[[électron]]'' » et « ''[[proton]]'' »)<ref>{{Ouvrage|nom1=Pauli, W.|titre=Wolfgang Pauli Wissenschaftlicher Briefwechsel mit Bohr, Einstein, Heisenberg u.a.|volume=6|passage=105|collection=Sources in the History of Mathematics and Physical Sciences|année=1985|isbn=978-3-540-13609-5|doi=10.1007/978-3-540-78801-0_3|titre chapitre=Das Jahr 1932 Die Entdeckung des Neutrons}}</ref>{{,}}<ref name="CPT">{{ouvrage| editor1-last = Hendry | editor1-first =John | titre = Cambridge Physics in the Thirties | éditeur = Bristol: Adam Hilger Ltd | année = 1984 | isbn = 978-0852747612| date =1984-01-01 }}</ref>. Cependant, des références au mot « ''neutron'' » en relation avec l'atome se retrouvent dans la littérature dès 1899<ref name="Pais"/>{{rp|398}}{{,}}<ref name="FeathHist"/>.

Rutherford et Chadwick ont immédiatement lancé un programme expérimental au [[laboratoire Cavendish]] de [[Cambridge]] pour tenter de découvrir le neutron<ref name="NucEl"/>{{rp|27}}{{,}}<ref name="Pais"/>{{rp|398}}. Les expériences se sont poursuivies tout au long des années 1920, mais sans succès<ref name="Neutron"/>.

La conjecture de Rutherford et l'hypothèse du neutron n'étaient pas largement acceptées. Dans sa [[monographie]] de 1931 sur la ''Constitution des noyaux atomiques et de la radioactivité'', [[George Gamow]], alors à l'[[Institut de physique théorique de Copenhague]], ne mentionnait pas le neutron<ref name="Gamow">Gamow G. (1931) ''Constitution of Atomic Nuclei and Radiation'', Oxford: Clarendon Press</ref>. [[Irène Joliot-Curie]] et [[Frédéric Joliot-Curie|Frédéric Joliot]], durant leurs mesures de 1932 à Paris qui conduiront à la découverte du neutron, ignoraient la conjecture<ref name="Crowther">{{Article|auteur1=Crowther, J.G.|titre=Rutherford the Great|périodique=New Scientist and Science Journal|volume=51|numéro=3|année=1971|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=KQWxZ_mwx5cC&q=Crowther+Rutherford+the+Great&pg=PA464|consulté le=27 septembre 2017|pages=464–466}}</ref>.

== Problèmes de l'hypothèse des électrons nucléaires ==
Tout au long des années 1920, les physiciens avaient supposé que le noyau atomique était composé de protons et d'« électrons nucléaires »<ref name="NucEl"/>{{rp|29–32}}{{,}}<ref name="Brown">{{Article|auteur1=Brown|prénom1=Laurie M.|titre=The idea of the neutrino|périodique=[[Physics Today]]|volume=31|numéro=9|année=1978|doi=10.1063/1.2995181|bibcode=1978PhT....31i..23B|pages=23|extrait=During the 1920s physicists came to accept the view that matter is built of only two kinds of elementary particles, electrons and protons.}}</ref>. En suivant cette hypothèse, le noyau d'azote 14 (<sup>14</sup>N) devait être composé de 14 protons et de 7 électrons nucléaires, de sorte qu'il aurait une charge nette de +7 [[Charge élémentaire|charges élémentaires]] et une masse de 14 unités de masse atomique. Ce noyau serait également entouré par 7 autres électrons, appelés « électrons externes » par Rutherford<ref name="BakLec"/>{{rp|375}}, pour constituer l'atome <sup>14</sup>N. Cependant, des problèmes avec cette hypothèse sont rapidement devenus apparents.

[[Ralph Kronig]] avait souligné en 1926 que la [[structure hyperfine]] des spectres atomiques que l'on observait était incompatible avec l'hypothèse proton-électron. Cette structure est causée par l'influence du noyau sur la dynamique des électrons en orbite. Les moments magnétiques des supposés « électrons nucléaires » devraient produire des séparations de [[Raie spectrale|raies spectrales]] hyperfines similaires à l'[[effet Zeeman]]. Mais aucun effet de ce type n'avait été observé<ref name="Stuewer">{{Ouvrage|prénom1=Roger H.|nom1=Stuewer|titre=Niels Bohr: A Centenary Volume|éditeur=Harvard University Press|date=1985|pages totales=[https://archive.org/details/nielsbohrcentena00fren/page/197 197–220]|isbn=978-0674624160|titre chapitre=Niels Bohr and Nuclear Physics|editor1-first=A. P.|editor2-first=P. J.}}</ref>{{rp|199}}. Tout se passait comme si le moment magnétique de l'électron disparaissait lorsqu'il était à l'intérieur du noyau<ref name="Pais"/>{{rp|299}}.

Alors qu'il était en visite à l'[[Université d'Utrecht]] en 1928, Kronig avait découvert un aspect surprenant du spectre de rotation de l'ion N<sub>2</sub><sup>+</sup>. La mesure précise qu'avait effectuée [[Leonard Ornstein]], le directeur du Laboratoire de physique d'Utrecht, avait montré que le spin du noyau d'azote devait être égal à un. Cependant, si le noyau d'azote 14 (<sup>14</sup>N) était composé de 14 protons et de 7 électrons (un nombre impair de particules de spin 1/2) alors le spin nucléaire résultant devait être un demi-entier. Kronig suggéra alors que « les protons et les électrons ne conservaient peut-être pas leur identité tel qu'ils le font en dehors du noyau »<ref name="Pais"/>{{rp|299–301}}{{,}}<ref name="Stuewer2018">{{ouvrage| nom =Stuewer
 | prénom =Roger
 | titre = The Age of Innocence: Nuclear Physics between the First and Second World Wars
 | éditeur =Oxford University Press
 | année=2018
 | isbn =9780192562906
}}</ref>{{rp|117}}.

Les observations des [[Spectroscopie rotationnelle|niveaux d'énergie de rotation]] des molécules diatomiques à l'aide de la [[spectroscopie Raman]] par [[Franco Rasetti]] en 1929 étaient également incompatibles avec la statistique à laquelle on s'attendait en considérant l'hypothèse proton-électron. Rasetti avait obtenu des spectres de bandes pour les molécules H<sub>2</sub> et N<sub>2</sub>. Alors que les bandes pour les deux molécules diatomiques montraient une alternance d'intensité entre lumière et obscurité, le motif d'alternance pour H<sub>2</sub> était opposé à celui de N<sub>2</sub>. Après avoir soigneusement analysé les résultats expérimentaux, les physiciens allemands [[Walter Heitler]] et [[Gerhard Herzberg]] ont pu montrer que les noyaux d'hydrogène obéissaient à la statistique de Fermi alors que les noyaux d'azote obéissaient à la statistique de Bose. Cependant, un résultat alors non publié d'[[Eugene Wigner]] montrait qu'un système composé d'un nombre impair de particules de spin 1/2 devait obéir à la statistique de Fermi, alors qu'un système ayant un nombre pair de particules de spin 1/2 devait obéir à la statistique de Bose. Si le noyau d'azote 14 avait 21 particules, il devait donc obéir à la statistique de Fermi, contrairement aux faits. Ainsi, Heitler et Herzberg avaient conclu : « l'électron dans le noyau... perd sa capacité à déterminer la statistique du noyau. »<ref name=Stuewer2018/>{{rp|117–118}}.

Le [[paradoxe de Klein]]<ref>{{Article|auteur1=Klein|prénom1=O.|titre=Die Reflexion von Elektronen an einem Potentialsprung nach der relativistischen Dynamik von Dirac|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=53|numéro=3–4|année=1929|doi=10.1007/BF01339716|bibcode=1929ZPhy...53..157K|pages=157|s2cid=121771000}}</ref>, découvert par [[Oskar Klein]] en 1928, présentait une autre objection, du ressort de la mécanique quantique, à la notion d'un électron confiné dans un noyau. Dérivé de l'[[équation de Dirac]], ce paradoxe clair et précis suggérait qu'un électron s'approchant d'une barrière de haut potentiel avait une forte probabilité de traverser la barrière<ref name="Gamow"/> par un processus de [[création de paires]]. Apparemment, un électron ne pouvait pas être confiné dans un noyau par un [[puits de potentiel]], quel qu'en soit sa hauteur. La signification de ce paradoxe avait été intensément débattue à l'époque<ref name="Stuewer"/>{{rp|199–200}}.

Vers 1930, il était globalement reconnu qu'il était difficile de concilier le modèle proton-électron des noyaux avec la relation d'[[Principe d'incertitude|incertitude de Heisenberg]] de la mécanique quantique<ref name="Stuewer"/>{{rp|199}}{{,}}<ref name="Pais"/>{{rp|299}}. Cette relation, {{Nobr|Δ''x''⋅Δ''p'' ≥ {{frac|1|2}}''ħ''}}, impliquait qu'un électron confiné dans une région de la taille d'un noyau atomique avait généralement une [[énergie cinétique]] d'environ 40 MeV<ref name="Pais"/>{{rp|299}}{{,}}{{efn|Dans un noyau de rayon ''r'' de l'ordre de 5×10<sup>−13</sup>cm, le principe d'incertitude nécessite qu'un électron ait une impulsion ''p'' de l'ordre de ''ħ''/''r''. Une telle quantité de mouvement implique que l'électron devrait avoir une énergie cinétique (relativiste) d'environ 40 MeV<ref name=Bethe/>{{rp|89}}.}}, ce qui était supérieure à l'énergie que l'on observait pour les particules bêta émises par les noyaux<ref name="Pais"/>. Une telle énergie était également beaucoup plus grande que l'énergie de liaison des nucléons<ref name="Bethe">{{ouvrage|nom1=Bethe|prénom1=H.|nom2=Bacher|prénom2=R.|titre=Nuclear Physics A. Stationary States of Nuclei|journal=Reviews of Modern Physics|volume=8|numéro=82|pages=82–229|année=1936|doi=10.1103/RevModPhys.8.82|bibcode=1936RvMP....8...82B|url=https://authors.library.caltech.edu/51288/1/RevModPhys.8.82.pdf}}</ref>{{rp|89}}, qu'Aston et d'autres scientifiques avaient montrée être inférieure à 9 MeV par nucléon<ref name="Aston27">{{article|prénom1=F. W.|nom1=Aston|titre=Bakerian Lecture – A new mass-spectrograph and the whole number rule|journal=Proceedings of the Royal Society A|volume=115|numéro=772|année=1927|doi=10.1098/rspa.1927.0106|bibcode=1927RSPSA.115..487A|pages=487–514|accès doi=libre}}</ref>{{rp|511}}.

En 1927, Charles Ellis et W. Wooster du laboratoire Cavendish avaient mesuré les énergies des électrons issus des désintégrations β, et ils avaient découvert que la distribution des énergies de n'importe lequel des noyaux radioactifs était large et continue, un résultat qui contrastait tout particulièrement avec les valeurs d'énergie discrètes observées dans le cas des désintégrations alpha et gamma. De plus, la distribution d'énergie continue semblait indiquer que l'énergie n'était pas conservée lors de ce processus impliquant les « électrons nucléaires ». À la suite de cela, en 1929, Bohr avait proposé de modifier la loi de [[conservation de l'énergie]] pour tenir compte de la distribution continue de l'énergie. Sa proposition avait obtenu le soutien de Werner Heisenberg. De telles considérations étaient apparemment raisonnables, dans la mesure où les lois de la mécanique quantique venaient récemment de remplacer les lois de la mécanique classique.

Bien que toutes ces considérations ne « prouvaient » pas qu'un électron ne pouvait pas exister dans le noyau, elles étaient déroutantes et difficiles à interpréter par les physiciens. De nombreuses théories avaient alors été inventées pour expliquer comment les arguments ci-dessus pourraient être faux<ref name="Krane1987">{{ouvrage|auteur=Kenneth S. Krane|titre=Introductory Nuclear Physics|date=5 November 1987|éditeur=Wiley|isbn=978-0-471-80553-3}}</ref>{{rp|4–5}}. Dans sa monographie de 1931, Gamow résumait toutes ces contradictions, marquant les déclarations concernant les électrons dans le noyau avec des symboles d'avertissement<ref name="Brown"/>{{rp|23}}.

== La découverte du neutron ==
En 1930, [[Walther Bothe]] et [[Walther Bothe|Herbert Becker]], à [[Gießen|Giessen]] en Allemagne, avaient découvert que si les [[Particule α|particules alpha]] de haute énergie émises par le [[polonium]] percutaient certains éléments légers, en particulier le [[béryllium]] (<chem>^{9}_{4}Be</chem>), le [[bore]] (<chem>^{11}_{5}B</chem>) ou le [[lithium]] (<chem>^{7}_{3}Li</chem>), un rayonnement inhabituellement pénétrant se produisait. Le béryllium fournissait le rayonnement le plus intense. Le polonium étant hautement radioactif et produisant un rayonnement alpha énergétique, il était couramment utilisé à l'époque pour des expériences de diffusion<ref name="Gamow"/>{{rp|99–110}}. Le rayonnement alpha peut être influencé par un champ électrique, car il est composé de particules chargées. Cependant, le rayonnement pénétrant qui était observé n'était pas influencé par un champ électrique. On a donc d'abord pensé qu'il s'agissait d'un [[Rayon gamma|rayonnement gamma]], mais le rayonnement était plus pénétrant que tous les rayons gamma connus et les détails des résultats expérimentaux étaient difficiles à interpréter<ref>{{Article|langue=de|auteur1=Bothe|prénom1=W.|auteur2=Becker|prénom2=H.|titre=Künstliche Erregung von Kern-γ-Strahlen|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=66|numéro=5–6|année=1930|
doi=10.1007/BF01390908|bibcode=1930ZPhy...66..289B|pages=289|s2cid=122888356}}</ref>{{,}}<ref>{{Article|langue=de|auteur1=Becker|prénom1=H.|auteur2=Bothe|prénom2=W.|titre=Die in Bor und Beryllium erregten γ-Strahlen|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=76|numéro=7–8|année=1932|
doi=10.1007/BF01336726|bibcode=1932ZPhy...76..421B|pages=421|s2cid=121188471}}</ref>{{,}}<ref name="Gamow"/>.
[[Fichier:Chadwick_Neutron_Discovery.png|vignette|375x375px| Un diagramme schématique de l'expérience utilisée pour découvrir le neutron en 1932. À gauche, une source de polonium était utilisée pour irradier du béryllium avec des particules alpha, ce qui induisait un rayonnement non chargé. Lorsque ce rayonnement frappait de la cire de paraffine, des protons étaient éjectés. Les protons étaient alors observés à l'aide d'une petite chambre d'ionisation. Adapté de Chadwick (1932)<ref name="Neutron"/>.]]
Deux ans plus tard, à Paris, [[Irène Joliot-Curie]] et [[Frédéric Joliot-Curie|Frédéric Joliot]] montraient que si ce rayonnement inconnu était dirigé sur de la [[Paraffine|cire de paraffine]], ou tout autre composé contenant de l'[[hydrogène]], des protons de très haute énergie (5 MeV) étaient éjectés<ref>{{Article|langue=fr|auteur1=Joliot-Curie, Irène|auteur2=Joliot, Frédéric|titre=Émission de protons de grande vitesse par les substances hydrogénées sous l'influence des rayons γ très pénétrants|périodique=Comptes Rendus des Séances de l'Académie des Sciences|volume=194|année=1932|lire en ligne=http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-3147&I=273|pages=273}}</ref>. Cette observation n'était pas en elle-même incompatible avec la nature supposée des rayons gamma du nouveau rayonnement, mais cette interprétation posait un problème logique. Du point de vue de l'énergie et de la [[quantité de mouvement]], un rayon gamma devait avoir une énergie incroyablement élevée (50 MeV) pour pouvoir éjecter un proton massif<ref name="Byrne"/>{{rp|§1.3.1}}. A Rome, le jeune physicien [[Ettore Majorana]] déclarait alors que la manière dont le nouveau rayonnement interagissait avec les protons nécessitait une nouvelle particule neutre<ref>Zichichi, A., [http://cerncourier.com/cws/article/cern/29664 Ettore Majorana: genius and mystery], CERN Courier, 25 July 2006, Access date: 16 November 2017.</ref>.

En entendant les résultats de Paris, ni Rutherford ni James Chadwick au laboratoire Cavendish ne croyaient plus à l'hypothèse des rayons gamma<ref name="ABrown">{{Ouvrage|langue=en|prénom1=A.|nom1=Brown|titre=The Neutron and the Bomb: A Biography of Sir James Chadwick|éditeur=Oxford University Press|année=1997|isbn=9780198539926}}</ref>. Assisté de [[Norman Feather]]<ref name="sessI">{{Lien web |auteur=<!--Staff writer(s); no by-line.--> |titre=Oral History Interview: Norman Feather, Session I |url=https://www.aip.org/history-programs/niels-bohr-library/oral-histories/4559-1 |éditeur=American Institute of Physics, Niels Bohr Library and Archives |date=25 February 1971 |consulté le=16 novembre 2017}}</ref>, Chadwick se mit rapidement à produire une série d'expériences montrant que l'hypothèse des rayons gamma était intenable. L'année précédente, Chadwick, JER Constable et EC Pollard avaient déjà mené des expériences sur la désintégration d'éléments légers en utilisant le rayonnement alpha du polonium<ref>{{Article|langue=en|auteur1=Chadwick|prénom1=J.|auteur2=Constable|prénom2=J.E.R.|auteur3=Pollard|prénom3=E.C.|titre=Artificial disintegration by α-particles|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=130|numéro=814|année=1931|doi=10.1098/rspa.1931.0017|bibcode=1931RSPSA.130..463C|pages=463–489}}</ref>. Ils avaient également développé des méthodes plus précises et plus efficaces pour détecter, compter et enregistrer les protons émis. Chadwick reprit donc l'[[Expérience de Chadwick|expérience]] produisant le rayonnement en utilisant du béryllium pour absorber les particules alpha, selon l'équation : {{Nobr|<sup>9</sup>Be + <sup>4</sup>He (α) →}} {{Nobr|<sup>12</sup>C + <sup>1</sup>n.}} Comme pour l'expérience de Paris, il dirigea le rayonnement sur de la cire de paraffine, un hydrocarbure riche en hydrogène, offrant ainsi une cible dense en protons. Comme dans l'expérience de Paris, le rayonnement diffusait énergétiquement certains des protons{{Efn|Étant donné que les neutrons et les protons ont une masse presque identique, les protons sont diffusés énergétiquement par les neutrons.}}. Chadwick mesura alors la longueur du parcours de ces protons ainsi que l'impact du nouveau rayonnement sur les atomes de divers gaz<ref name="AM">{{Lien web |langue=en|titre=Atop the Physics Wave: Rutherford Back in Cambridge, 1919–1937 |url=https://history.aip.org/exhibits/rutherford/sections/atop-physics-wave.html |série=Rutherford's Nuclear World |éditeur=American Institute of Physics |date=2011–2014 |consulté le=19 août 2014}}</ref>. Il découvrit que le nouveau rayonnement était constitué de particules non chargées ayant à peu près la même masse que le [[proton]]. Il ne pouvait s'agir de rayons gamma ; ces particules étaient des neutrons<ref name="Chad1932">{{Article|langue=en|auteur1=Chadwick|prénom1=James|titre=Possible Existence of a Neutron|périodique=[[Nature (journal)|Nature]]|volume=129|numéro=3252|année=1932|doi=10.1038/129312a0|bibcode=1932Natur.129Q.312C|pages=312|s2cid=4076465}}</ref>{{,}}<ref name="Neutron"/>{{,}}<ref name="Bakerian">{{Article|langue=en|
auteur1=Chadwick|prénom1=J.|titre=Bakerian Lecture.–The Neutron|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=142|numéro=846|année=1933|doi=10.1098/rspa.1933.0152|bibcode=1933RSPSA.142....1C|pages=1–25}}</ref>{{,}}<ref name="ley196610">{{article|langue=en
 |nom=Ley
 |prénom=Willy
 |date=October 1966
 |titre=The Delayed Discovery
 |department=For Your Information
 |url=https://archive.org/stream/Galaxy_v25n01_1966-10#page/n115/mode/2up
 |périodique=Galaxy Science Fiction
 |pages=116–127
}}</ref>. Chadwick a reçu le [[prix Nobel de physique]] en 1935 pour cette découverte<ref>{{Lien web |langue=en|titre=The Nobel Prize in Physics 1935: James Chadwick – Biographical |url=https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/1935/chadwick-bio.html |éditeur=Nobel Foundation |consulté le=18 novembre 2017}}</ref>.

L'année 1932 fut plus tard référée comme l'« [[annus mirabilis]] » pour la physique nucléaire au laboratoire Cavendish<ref name="AM"/>, avec les découvertes du neutron, celle de la désintégration nucléaire artificielle par l'[[Générateur Cockcroft-Walton|accélérateur de particules Cockcroft-Walton]] et celle du [[Positon|positron]].

== Modèle proton-neutron du noyau ==
[[Fichier:Blausen_0342_ElectronEnergyLevels.png|vignette|360x360px| Modèles illustrant le noyau et les niveaux d'énergie des électrons dans les atomes d'hydrogène, d'hélium, de lithium et de néon. En réalité, le diamètre du noyau est environ 100 000 fois plus petit que celui de l'atome.]]
Compte tenu des problèmes concernant le ''modèle proton-électron''<ref name="Brown"/>{{,}}<ref name="FK">Friedlander, G.; Kennedy, J.W.; Miller, J.M. (1964) ''Nuclear and Radiochemistry'' (2nd edition), Wiley, pp. 22–23 and 38–39</ref>, il avait été rapidement admis que le noyau atomique devait être composé de protons et de neutrons, même si la nature précise du neutron n'était pas claire dès le départ. Quelques mois après la découverte du neutron, [[Werner Heisenberg]]<ref>{{Article|auteur1=Heisenberg|prénom1=W.|titre=Über den Bau der Atomkerne. I|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=77|numéro=1–2|année=1932|doi=10.1007/BF01342433|bibcode=1932ZPhy...77....1H|pages=1–11|s2cid=186218053}}</ref>{{,}}<ref>{{Article|auteur1=Heisenberg|prénom1=W.|titre=Über den Bau der Atomkerne. II|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=78|numéro=3–4|année=1932|doi=10.1007/BF01337585|bibcode=1932ZPhy...78..156H|pages=156–164|s2cid=186221789}}</ref>{{,}}<ref>{{Article|auteur1=Heisenberg|prénom1=W.|titre=Über den Bau der Atomkerne. III|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=80|numéro=9–10|année=1933|doi=10.1007/BF01335696|bibcode=1933ZPhy...80..587H|pages=587–596|s2cid=126422047}}</ref>{{,}}{{Références multiples|ley196610}} et [[Dmitri Ivanenko]]<ref>Iwanenko, D.D., The neutron hypothesis, Nature '''129''' (1932) 798.</ref> proposaient des modèles proton-neutron dans le noyau<ref>Miller A. I. ''Early Quantum Electrodynamics: A Sourcebook'', Cambridge University Press, Cambridge, 1995, {{ISBN|0521568919}}, pp. 84–88.{{ISBN|0521568919}}</ref>. Les articles les plus notables de Heisenberg abordaient la description des protons et des neutrons par la mécanique quantique. Par contre, alors que sa théorie des protons et des neutrons était une « étape majeure vers la compréhension du noyau en tant que système quantique »<ref name="BrownRechenberg">{{Ouvrage|prénom1=L.M.|nom1=Brown|prénom2=H.|nom2=Rechenberg|titre=The Origin of the Concept of Nuclear Forces|passage=[https://archive.org/details/originofconcepto0000brow/page/33 33]|lieu=Bristol and Philadelphia|éditeur=Institute of Physics Publishing|année=1996|isbn=978-0750303736|lire en ligne=https://archive.org/details/originofconcepto0000brow|accès url=inscription|extrait=heisenberg proton neutron model.}}</ref>, il continuait à supposer la présence d'électrons nucléaires. En particulier, Heisenberg pensait que le neutron était un composite proton-électron, pour lequel il n'y avait pas d'explication quantique. Il ne lui était pas possible d'expliquer la manière dont des électrons aussi légers pouvaient être liés dans le noyau. C'est aussi Heisenberg qui avait introduit la première théorie des forces d'échange nucléaires liant les nucléons au sein du noyau. Il considérait les protons et les neutrons comme des [[État quantique|états quantiques]] différents de la même particule, c'est-à-dire des nucléons se distinguant par la valeur de leurs [[Nombre quantique|nombres quantiques]] d'[[isospin]] nucléaire.

Le modèle proton-neutron permettait finalement de résoudre l'énigme du diazote. Lorsqu'il a été proposé que <sup>14</sup>N se composait de 3 paires de protons et de 3 paires de neutrons, ainsi que d'un neutron et d'un proton supplémentaires non appariés, chacun contribuant à un spin {{Fraction|1|2}} ħ dans la même direction pour produire un spin total de 1 ħ, le modèle est devenu viable<ref name="DI32">{{Article|auteur1=Iwanenko|prénom1=D.|titre=Sur la constitution des noyaux atomiques|périodique=Comptes Rendus de l'Académie des Sciences de Paris|volume=195|année=1932|pages=439–441}}</ref>{{,}}<ref>{{Article|auteur1=Bacher|prénom1=R.F.|auteur2=Condon|prénom2=E.U.|titre=The Spin of the Neutron|périodique=[[Physical Review]]|volume=41|numéro=5|année=1932|doi=10.1103/PhysRev.41.683|bibcode=1932PhRv...41..683G|pages=683–685}}</ref>{{,}}<ref>{{Article|auteur1=Whaling|prénom1=W.|titre=Robert F. Bacher 1905–2004|périodique=Biographical Memoirs of the National Academy of Sciences|année=2009|lire en ligne=http://www.nasonline.org/publications/biographical-memoirs/memoir-pdfs/bacher-robert-f.pdf|archiveurl=https://web.archive.org/web/20140531133917/http://www.nasonline.org/publications/biographical-memoirs/memoir-pdfs/bacher-robert-f.pdf|archivedate=2014-05-31|consulté le=2015-03-21}}</ref>. Rapidement, les neutrons ont été utilisés pour expliquer naturellement les différences de spin dans de nombreux nucléides, en faisant le même raisonnement.

Bien que le modèle proton-neutron du noyau ait résolu de nombreux problèmes, il mettait aussi en évidence le problème de pouvoir expliquer l'origine du rayonnement bêta. Aucune théorie existante ne pouvait expliquer comment les électrons, ou les positrons<ref>{{Article|auteur1=Bethe|prénom1=H.|auteur2=Peierls|prénom2=R.|titre=The Neutrino|périodique=[[Nature (journal)|Nature]]|volume=133|numéro=3362|année=1934|doi=10.1038/133532a0|bibcode=1934Natur.133..532B|pages=532–533|s2cid=4001646}}</ref>, pouvaient émaner du noyau<ref>{{Article|auteur1=Yang|prénom1=Chen Ning|titre=Fermi's β-Decay Theory|périodique=International Journal of Modern Physics|volume=27|numéro=3,4|année=2012|doi=10.1142/S0217751X12300050|bibcode=2012IJMPA..2730005Y|pages=1230005-1-1230005-7}}</ref>. En 1934, [[Enrico Fermi]] publiait son article classique décrivant le [[Théorie de Fermi de la désintégration β|processus de désintégration bêta]], dans lequel le neutron se désintégrait en un proton en ''créant'' un électron et un [[neutrino]] (qui n'avait toujours pas été découvert)<ref name="Wilson">{{Article|auteur1=Wilson|prénom1=Fred L.|titre=Fermi's Theory of Beta Decay|périodique=Am. J. Phys.|volume=36|numéro=12|année=1968|doi=10.1119/1.1974382|bibcode=1968AmJPh..36.1150W|pages=1150–1160}}</ref>. L'article utilisait l'analogie selon laquelle les [[photon]]s (le rayonnement électromagnétique) étaient créés et détruits de la même manière lors des processus atomiques. Ivanenko avait suggéré une analogie similaire dès 1932<ref name="DI32"/>{{,}}<ref>{{Article|auteur1=Iwanenko|prénom1=D.|titre=Neutronen und kernelektronen|périodique=Physikalische Zeitschrift der Sowjetunion|volume=1|année=1932|pages=820–822}}</ref>. La théorie de Fermi exigeait que le neutron soit une particule de spin {{Fraction|1|2}}. De plus, elle préservait le principe de conservation de l'énergie, qui avait été remis en cause par la distribution continue de l'énergie des particules bêta. La théorie proposée par Fermi était la première à montrer comment des particules pouvaient être créées ou détruites. Elle mettait en place une théorie générale et fondamentale de l'interaction des particules par les forces nucléaires faibles ou fortes<ref name="Wilson"/>. Bien que cet article influent ait résisté à l'épreuve du temps, les idées qu'il contenait étaient si nouvelles que lorsqu'il avait été soumis pour la première fois à la revue [[Nature (revue)|Nature]] en 1933, il avait été rejeté car il était considéré trop spéculatif<ref name="BrownRechenberg"/>.

== Nature du neutron ==
[[Fichier:Solvay1933Large.jpg|vignette|Septième Conférence Solvay de 1933.]]
La question de savoir si le neutron était une particule composite, composée d'un proton et d'un électron, avait persisté pendant plusieurs années après sa découverte<ref name="Kurie">{{Article|auteur1=Kurie|prénom1=F.N.D.|titre=The Collisions of Neutrons with Protons|périodique=[[Physical Review]]|volume=44|numéro=6|année=1933|doi=10.1103/PhysRev.44.463|bibcode=1933PhRv...44..463K|pages=463}}</ref>{{,}}<ref name="Breit">{{Article|auteur1=Breit|prénom1=G.|auteur2=Rabi|prénom2=I.I.|titre=On the interpretation of present values of nuclear moments|périodique=[[Physical Review]]|volume=46|numéro=3|année=1934|doi=10.1103/PhysRev.46.230|bibcode=1934PhRv...46..230B|pages=230}}</ref>. Par exemple, en 1932, [[Harrie Massey]] avait exploré un modèle de neutron composite pour rendre compte de son grand pouvoir de pénétration à travers la matière et de sa neutralité électrique<ref name="Massey">{{Article|auteur1=Massey|prénom1=H.S.W.|titre=The passage of neutrons through matter|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=138|numéro=835|année=1932|doi=10.1098/rspa.1932.0195|bibcode=1932RSPSA.138..460M|pages=460–469}}</ref>. La question était un héritage de l'opinion qui dominait les années 1920, selon laquelle les seules particules élémentaires étaient le proton et l'électron.

La nature du neutron était l'un des principaux sujets de discussion au cours de la {{7e}} [[Congrès Solvay|conférence Solvay]] qui se tenait en octobre 1933, en présence de [[Werner Heisenberg|Heisenberg]], [[Niels Bohr]], [[Lise Meitner]], [[Ernest Orlando Lawrence|Ernest Lawrence]], [[Enrico Fermi|Fermi]], [[James Chadwick|Chadwick]] et de bien d'autres<ref name="BrownRechenberg"/>{{,}}<ref name="Sime-Meitner">{{Ouvrage|prénom1=R.L.|nom1=Sime|titre=Lise Meitner: A Life in Physics|éditeur=University of California Press|année=1996|isbn=978-0520089068|lire en ligne=https://archive.org/details/lisemeitnerlifei00sime|accès url=inscription|extrait=neutron.}}</ref>. Comme l'avait exposé Chadwick dans sa conférence Bakerian de 1933, la question principale était celle de la masse du neutron par rapport à la masse du proton. Si la masse du neutron était inférieure à la masse combinée d'un proton et d'un électron (1,0078 [[Unité de masse atomique unifiée|u]]), alors le neutron pouvait être un composite proton-électron en raison du défaut de masse dû à l'[[Liaison nucléaire|énergie de liaison nucléaire]]. Si elle était supérieure à la masse combinée, alors le neutron devait être élémentaire, tout comme le proton<ref name="Bakerian"/>. La question était délicate car la masse de l'électron ne représentait que 0,05 % de celle du proton, d'où la nécessité de mesures expérimentales exceptionnellement précises.

La difficulté de la mesure de la masse du neutron peut être illustrée par les valeurs très variées obtenues entre 1932 et 1934. La valeur acceptée aujourd'hui est de 1,008 66 [[Unité de masse atomique unifiée|u]]. Dans l'article de Chadwick de 1932 sur la découverte, il avait été estimé que la masse du neutron devait être comprise entre 1,005 u et 1,008 u<ref name="ABrown"/>. En bombardant du bore avec des particules alpha, Frédéric et Irène Joliot-Curie avaient obtenu la valeur élevée de 1,012 u, tandis que l'équipe d'Ernest Lawrence à l'Université de Californie avait mesuré la valeur faible de 1,0006 u en utilisant leur nouveau [[cyclotron]]<ref name="Seidel">{{Ouvrage|prénom1=R.W.|nom1=Seidel|titre=Lawrence and his Laboratory: A History of the Lawrence Berkeley Laboratory|éditeur=University of California Press|année=1989|isbn=9780520064263|lire en ligne=https://archive.org/details/lawrencehislabor00heil}}</ref>.

En 1935, Chadwick et son étudiant de thèse [[Maurice Goldhaber]] résolvaient le problème en rapportant la première mesure précise de la masse du neutron. Ils avaient utilisé le rayonnement gamma de 2.6 MeV du [[thallium]] 208 (<sup>208</sup>Tl) (alors connu sous le nom de thorium C") pour [[Photodésintégration|photodésintégrer]] le deutéron<ref>{{Article|auteur1=Chadwick|prénom1=J.|auteur2=Goldhaber|prénom2=M.|titre=A nuclear photo-effect: disintegration of the diplon by gamma rays|périodique=[[Nature (journal)|Nature]]|volume=134|numéro=3381|année=1934|doi=10.1038/134237a0|bibcode=1934Natur.134..237C|pages=237–238|s2cid=4137231}}</ref> selon l'équation

:{| border="0"
|<chem>^{2}_{1}D + \gamma -> ^{1}_{1}H + n</chem>
|}

Au cours de cette réaction, le proton et le neutron produits ont une énergie cinétique à peu près identiques, puisque leurs masses sont à peu près égales. L'énergie cinétique du proton pouvait être mesurée (0,24 MeV), ce qui permettait de déterminer l'énergie de liaison du deutéron (2,6 MeV - 2 x (0,24 MeV) = 2,1 MeV, ou 0,0023 u). La masse du neutron pouvait alors être calculée par le simple bilan de masse

:{| border="0"
|- style="height:2em;"
|m<sub>d</sub> ||+ ||é.l. ||= ||m<sub>p</sub> ||+ ||m<sub>n</sub>
|}

où m<sub>d,p,n</sub> désignent les masses respectives du deutéron, du proton et du neutron, et « é.l. » est l'énergie de liaison. Les masses du deutéron et du proton étaient connues ; Chadwick et Goldhaber avaient utilisé les valeurs de 2,0142 u et 1,0081 u, respectivement. Ils avaient finalement conclu que la masse du neutron était légèrement supérieure à celle du proton (1,0084 u ou 1,0090 u, en fonction de la valeur précise utilisée pour la masse du deutéron)<ref name="ChadwickGoldhaber"/>. La masse du neutron était donc trop élevée pour qu'il puisse être un composite proton-électron. Le neutron fut donc identifié comme étant une particule élémentaire<ref name="ABrown"/>. Chadwick et Goldhaber ont également prédit que le neutron libre devait être capable de [[Désintégration du neutron libre|se désintégrer]] en un proton, un électron et un neutrino ([[Radioactivité β|désintégration bêta]]).

== Physique des neutrons dans les années 1930 ==
{{article connexe|Moment magnétique du neutron|Enrico Fermi|Lise Meitner|Otto Hahn|Découverte de la fission nucléaire}}
Peu de temps après la découverte du neutron, des preuves indirectes avaient suggéré de façon inattendue que le neutron avait un moment magnétique non nul. Les tentatives de mesure du moment magnétique du neutron étaient nées avec la découverte par [[Otto Stern]] en 1933 à [[Hambourg]] que le proton avait un moment magnétique anormalement élevé<ref name="FS">{{Article|auteur1=Frisch|prénom1=R.|auteur2=Stern|prénom2=O.|titre=Über die magnetische Ablenkung von Wasserstoffmolekülen und das magnetische Moment des Protons. I / Magnetic Deviation of Hydrogen Molecules and the Magnetic Moment of the Proton. I.|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=84|numéro=1–2|année=1933|doi=10.1007/bf01330773|bibcode=1933ZPhy...85....4F|lire en ligne=http://web.ihep.su/owa/dbserv/hw.part2?s_c=FRISCH+1933|pages=4–16|s2cid=120793548}}</ref>{{,}}<ref name="ES1">{{Article|auteur1=Esterman|prénom1=I.|auteur2=Stern|prénom2=O.|titre=Über die magnetische Ablenkung von Wasserstoffmolekülen und das magnetische Moment des Protons. II / Magnetic Deviation of Hydrogen Molecules and the Magnetic Moment of the Proton. I.|périodique=[[Zeitschrift für Physik]]|volume=85|numéro=1–2|année=1933|doi=10.1007/BF01330774|bibcode=1933ZPhy...85...17E|lire en ligne=http://web.ihep.su/owa/dbserv/hw.part2?s_c=FRISCH+1933|pages=17–24|s2cid=186232193}}</ref>. En 1934, des groupes de recherche dirigés par Stern, aujourd'hui à [[Pittsburgh]], et par [[Isidor Isaac Rabi]] à [[New York]] avaient indépendamment déduit que le moment magnétique du neutron était négatif et étonnamment élevé en mesurant les moments magnétiques du proton et du [[Deutérium|deutéron]]<ref name="Breit"/>{{,}}<ref name="ES2">{{Article|auteur1=Esterman|prénom1=I.|auteur2=Stern|prénom2=O.|titre=Magnetic moment of the deuton|périodique=[[Physical Review]]|volume=45|numéro=10|année=1934|doi=10.1103/PhysRev.45.739|bibcode=1934PhRv...45..739S|lire en ligne=http://web.ihep.su/owa/dbserv/hw.part2?s_c=ESTERMAN+1934|pages=761(A109)}}</ref>{{,}}<ref name="RKZ1">{{Article|auteur1=Rabi|prénom1=I.I.|auteur2=Kellogg|prénom2=J.M.|auteur3=Zacharias|prénom3=J.R.|titre=The magnetic moment of the proton|périodique=Physical Review|volume=46|numéro=3|année=1934|doi=10.1103/PhysRev.46.157|bibcode=1934PhRv...46..157R|pages=157}}</ref>{{,}}<ref name="RKZ2">{{Article|auteur1=Rabi|prénom1=I.I.|auteur2=Kellogg|prénom2=J.M.|auteur3=Zacharias|prénom3=J.R.|titre=The magnetic moment of the deuton<!-- WARNING "deuton" is correct, being one variety of spelling for this particle at the time. -->|périodique=[[Physical Review]]|volume=46|numéro=3|année=1934|doi=10.1103/PhysRev.46.163|bibcode=1934PhRv...46..163R|pages=163}}</ref>{{,}}<ref name="Rigden">{{Ouvrage|nom1=Rigden, John S.|titre=Rabi, Scientist and Citizen|éditeur=Harvard University Press|année=2000|isbn=9780674004351|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=Qgv9Xjv8_LYC&q=rabi+kellogg+zacharias+magnetic+moment+neutron&pg=PA106}}</ref>. Les valeurs du moment magnétique du neutron avaient également été déterminées par [[Robert Bacher]]<ref name="RB">{{Article|auteur1=Bacher|prénom1=R.F.|titre=Note on the Magnetic Moment of the Nitrogen Nucleus|périodique=[[Physical Review]]|volume=43|numéro=12|année=1933|doi=10.1103/PhysRev.43.1001|bibcode=1933PhRv...43.1001B|lire en ligne=https://authors.library.caltech.edu/51310/1/PhysRev.43.1001.pdf|pages=1001}}</ref> (1933) à [[Ann Arbor]] et par [[Igor Tamm]] et Semen Altshuler<ref name="Breit"/>{{,}}<ref name="AT">{{Article|auteur1=Tamm|prénom1=I.Y.|auteur2=Altshuler|prénom2=S.A.|titre=Magnetic Moment of the Neutron|périodique=[[Doklady Akademii Nauk SSSR]]|volume=8|année=1934|lire en ligne=http://web.ihep.su/owa/dbserv/hw.part2?s_c=ALTSHULER+1934|consulté le=30 janvier 2015|pages=455}}</ref> (1934) en [[Union des républiques socialistes soviétiques|Union soviétique]], à partir d'études de la structure hyperfine du spectre atomique. À la fin des années 1930, des valeurs précises du moment magnétique du neutron avaient été déduites par le groupe Rabi à l'aide de mesures utilisant des techniques de [[résonance magnétique nucléaire]], nouvellement développées<ref name="Rigden"/>. La valeur élevée du moment magnétique du proton et la valeur négative déduite du moment magnétique du neutron étaient inattendues et soulevaient de nombreuses questions<ref name="Breit"/>.
[[Fichier:Ragazzi_di_via_Panisperna.jpg|vignette| Fermi et ses étudiants (les [[garçons de la rue Panisperna]]) dans la cour de l'Institut de Physique de l'Université de Rome à Via Panisperna, vers 1934. De gauche à droite : [[Oscar D'Agostino]], [[Emilio Segrè]], [[Edoardo Amaldi]], [[Franco Rasetti]] et [[Enrico Fermi]].]]
La découverte du neutron avait immédiatement fourni aux scientifiques un nouvel outil leur permettant de sonder les noyaux atomiques. Les particules alpha avaient été utilisées jusque-là dans les expériences de diffusion. Mais ces particules, qui sont des noyaux d'hélium, ont une charge électrique qui ne leur permet pas de surmonter facilement la force de Coulomb répulsive du noyau et donc d'interagir directement avec celui-ci. Comme les neutrons n'ont pas de charge électrique, ils n'ont pas besoin de surmonter cette force. Presque au moment de leur découverte, les neutrons avaient été utilisés par Norman Feather, le collègue et protégé de Chadwick, dans des expériences de diffusion sur l'azote<ref name="Col">{{Article|auteur1=Feather, N.|titre=The Collisions of Neutrons with Nitrogen Nuclei|périodique=Proceedings of the Royal Society A|volume=136|numéro=830|date=1 June 1932|doi=10.1098/rspa.1932.0113|bibcode=1932RSPSA.136..709F|pages=709–727}}</ref>. Feather avait montré que les neutrons qui interagissaient avec des noyaux d'azote pouvaient soit se diffuser en protons, soit induire l'azote à se désintégrer pour former du [[bore]] avec émission d'une particule alpha. Feather fut donc le premier à montrer que les neutrons pouvaient produire des désintégrations nucléaires.

À [[Rome]], Enrico Fermi et son équipe de recherche avaient bombardé des éléments plus lourds avec des neutrons. Ils ont alors découvert que les produits étaient radioactifs. Avant 1934, ils avaient déjà utilisé des neutrons pour induire la radioactivité dans 22 éléments différents, dont beaucoup avaient un numéro atomique élevé. Remarquant que d'autres expériences dans son laboratoire semblaient mieux fonctionner lorsqu'ils étaient sur une table en bois plutôt que sur une table en marbre, Fermi soupçonnait que les protons du bois devaient ralentir les neutrons, ce qui augmentait les chances d'interaction des neutrons avec les noyaux. Il dirigea donc des neutrons à travers de la cire de paraffine pour les ralentir. Le résultat était que le taux de radioactivité de certains éléments bombardés était multiplié par un facteur de l'ordre de plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines<ref>{{Article|langue=it|auteur1=[[Enrico Fermi|E. Fermi]]|auteur2=[[Edoardo Amaldi|E. Amaldi]]|auteur3=[[Bruno Pontecorvo|B. Pontecorvo]]|auteur4=[[Franco Rasetti|F. Rasetti]]|titre=Azione di sostanze idrogenate sulla radioattività provocata da neutroni|périodique=La Ricerca Scientifica|volume=II|date=October 1934|lire en ligne=https://www.phys.uniroma1.it/DipWeb/museo/collezione%20Fermi/documento3.htm|consulté le=16 août 2021}}</ref>. La [[section efficace]] d'interaction des neutrons avec les noyaux est beaucoup plus grande dans le cas de neutrons lents que lorsqu'ils sont rapides. En 1938, Fermi reçu le prix Nobel de physique « ''pour ses démonstrations de l'existence de nouveaux éléments radioactifs produits par irradiation neutronique, ainsi que pour sa découverte des [[Réaction nucléaire|réactions nucléaires]] provoquées par les neutrons lents »''<ref>{{Lien web |titre=The Nobel Prize in Physics 1938: Enrico Fermi – Biographical |url=https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/1938/fermi-bio.html |éditeur=Nobelprize.org |consulté le=18 novembre 2017}}</ref>{{,}}<ref name="Cooper">{{Ouvrage|prénom1=Dan|nom1=Cooper|titre=Enrico Fermi: And the Revolutions in Modern physics|lieu=New York|éditeur=Oxford University Press|année=1999|isbn=978-0-19-511762-2|oclc=39508200|lire en ligne=https://archive.org/details/enricofermirevol00coop|accès url=inscription}}</ref>.
[[Fichier:Otto_Hahn_und_Lise_Meitner.jpg|gauche|vignette| Lise Meitner et Otto Hahn dans leur laboratoire en 1913<ref name="Rife"/>.]]
[[Fichier:Nuclear_fission.svg|droite|vignette| Fission nucléaire causée par l'absorption d'un neutron par l'[[uranium 235]]. Le nucléide lourd se fragmente alors en composants plus légers, avec émission de neutrons supplémentaires.]]
A [[Berlin]], la collaboration entre [[Lise Meitner]] et [[Otto Hahn]], accompagnés de leur assistant [[Fritz Strassmann]], avait approfondit les recherches commencées par Fermi en bombardant de l'uranium avec des neutrons. Entre 1934 et 1938, Hahn, Meitner et Strassmann avaient découvert un grand nombre de produits de transmutation radioactifs issus de ces expériences, qu'ils considéraient tous comme étant [[transuranien]]s<ref name="Hahn_1958">{{Article|auteur1=Hahn|prénom1=O.|titre=The Discovery of Fission|périodique=[[Scientific American]]|volume=198|numéro=2|année=1958|doi=10.1038/scientificamerican0258-76|bibcode=1958SciAm.198b..76H|pages=76}}</ref>. Les nucléides transuraniens sont ceux qui ont un numéro atomique supérieur à celui de l'uranium (92). Ils sont formés par absorption de neutrons, et n'existent pas à l'état naturel. En juillet 1938, Meitner avait été forcée d'échapper à la persécution [[Antisémitisme|antisémite]] de l'[[Troisième Reich|Allemagne nazie]], à la suite de l'[[Anschluss]], et elle réussit à obtenir un nouveau poste en Suède. Une expérience décisive les 16 et 17 décembre 1938 (utilisant un processus chimique appelé « [[Fractionnement (chimie)|fractionnement]] radium-baryum-mésothorium ») avait produit des résultats déroutants : ce qu'ils pensaient être trois isotopes du radium se comportaient systématiquement comme du [[baryum]]<ref name="Rife"/>. Le radium (numéro atomique 88) et le baryum (numéro atomique 56) appartiennent au même [[Tableau périodique des éléments|groupe chimique]]. Dès janvier 1939, Hahn concluait que ce qu'ils pensaient être des nucléides transuraniens étaient en réalité des nucléides beaucoup plus légers, tels que le baryum, le [[lanthane]], le [[cérium]] et les [[Groupe du platine|platinoïdes]] légers. Meitner et son neveu [[Otto Frisch]] avaient immédiatement et correctement interprété ces observations comme résultant de la [[fission nucléaire]], un terme inventé par Frisch<ref>{{Article|auteur1=Meitner|prénom1=L.|auteur2=Frisch|prénom2=O. R.|titre=Disintegration of Uranium by Neutrons: A New Type of Nuclear Reaction|périodique=[[Nature (journal)|Nature]]|volume=143|numéro=3615|année=1939|doi=10.1038/143239a0|bibcode=1939Natur.143..239M|pages=239|s2cid=4113262}}</ref>.

Hahn et ses collaborateurs avaient détecté la scission des noyaux d'uranium (rendus instables par l'absorption d'un neutron) en éléments plus légers. Meitner et Frisch avaient également montré que la fission de chaque atome d'uranium libérerait environ 200 MeV d'énergie. La découverte de la fission avait électrisé la communauté internationale des physiciens de l'atome, ainsi que le public<ref name="Rife"/>. Dans leur deuxième publication sur la fission nucléaire, Hahn et Strassmann prédisaient l'existence et la libération de neutrons supplémentaires au cours du processus de fission<ref>{{Article|auteur1=Hahn|prénom1=O.|auteur2=Strassmann|prénom2=F.|titre=Proof of the Formation of Active Isotopes of Barium from Uranium and Thorium Irradiated with Neutrons; Proof of the Existence of More Active Fragments Produced by Uranium Fission|périodique=[[Die Naturwissenschaften]]|volume=27|numéro=6|date=10 February 1939|doi=10.1007/BF01488988|bibcode=1939NW.....27...89H|pages=89–95|s2cid=33512939}}</ref>. En mars 1939, [[Frédéric Joliot-Curie|Frédéric Joliot]] et son équipe prouvaient que ce phénomène était une [[Réaction en chaîne (nucléaire)|réaction en chaîne]]. En 1945, Hahn reçu le [[prix Nobel de chimie]] de l'année 1944 « ''pour sa découverte de la fission des noyaux atomiques lourds »''<ref>{{Lien web |titre=The Nobel Prize in Chemistry 1944: Otto Hahn – Biographical |url=https://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1944/hahn-bio.html |éditeur=Nobelprize.org |consulté le=18 novembre 2017}}</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|nom1=Bernstein, Jeremy|lien auteur1=Jeremy Bernstein|titre=Hitler's uranium club: the secret recordings at Farm Hall|passage=[https://archive.org/details/hitlersuraniumcl00bern/page/281 281]|lieu=New York|éditeur=Copernicus|année=2001|isbn=978-0-387-95089-1|lire en ligne=https://archive.org/details/hitlersuraniumcl00bern/page/281}}</ref>.

== Après 1939 ==
[[Fichier:Trinity_shot_color.jpg|gauche|vignette| La première bombe atomique qui explosa lors du [[Trinity (essai atomique)|test Trinity]], le 16 juillet 1945, dans le cadre du [[Projet Manhattan]].]]
{{article connexe|Chicago Pile-1|Chronologie des découvertes des particules}}
La découverte de la fission nucléaire à la fin de 1938 avait marqué un déplacement des centres de la recherche nucléaire depuis l'Europe vers les États-Unis. De nombreux scientifiques avaient émigré aux États-Unis pour échapper aux troubles, à l'[[antisémitisme]] qui sévissaient en Europe et pour fuir la [[Seconde Guerre mondiale|guerre]] imminente<ref name="Isaacson">{{Ouvrage|prénom1=Walter|nom1=Isaacson|titre=Einstein: His Life and Universe|éditeur=Simon & Schuster|date=2007|isbn=978-0743264747|lire en ligne=https://archive.org/details/einsteinhislifeu0000isaa|accès url=inscription}}</ref>{{rp|407–410}}. (Voir « ''Jewish scientists and the Manhattan Project'' [[:en:Military history of Jewish Americans#Jewish scientists and the Manhattan Project|(en)]] »). Les nouveaux centres de recherche nucléaire étaient les universités des États-Unis, en particulier l'[[Université Columbia|Université de Columbia]] à New York et l'[[Université de Chicago]] où Enrico Fermi avait déménagé<ref>{{Lien web |auteur=<!--Not stated--> |titre=About Enrico Fermi |url=http://fermi.lib.uchicago.edu/fermibiog.htm |série=The University of Chicago Library: Digital Activities and Collections |éditeur=Guide to the Enrico Fermi Collection, Special Collections Research Center, University of Chicago Library |consulté le=24 novembre 2017}}</ref>{{,}}<ref>{{Lien web |auteur=<!--Not stated--> |titre=Fermi at Columbia: The Manhattan Project and the First Nuclear Pile |url=http://physics.columbia.edu/home/fermi-columbia |série=Columbia University Department of Physics |consulté le=24 novembre 2017 |archive-url=https://web.archive.org/web/20171029203915/http://physics.columbia.edu/home/fermi-columbia |archive-date=29 October 2017 }}</ref>, ainsi qu'une toute nouvelle installation de recherche secrète à [[Laboratoire national de Los Alamos|Los Alamos]], au [[Nouveau-Mexique]], établie en 1942. Elle devint le centre principal du [[projet Manhattan]]<ref name="Rhodes">{{Ouvrage|prénom1=Richard|nom1=Rhodes|titre=The Making of the Atomic Bomb|lieu=New York|éditeur=Simon & Schuster|date=1986|isbn=978-0-671-44133-3|lire en ligne=https://archive.org/details/makingofatomicbo00rhod|accès url=inscription}}</ref>. Ce projet de guerre était axé sur la construction des [[Arme nucléaire|armes nucléaires]], exploitant l'énorme énergie libérée par la fission de l'uranium ou celle du [[plutonium]] par le biais de réactions en chaîne à base de neutrons.

Les découvertes du neutron et du positron en 1932 avaient été le commencement d'une longue série de découvertes de nouvelles particules. Les [[muon]]s ont été découverts en 1936, les [[Pion (particule)|pions]] et les [[kaon]]s en 1947, tandis que les [[Baryon Lambda|particules lambda]] l'ont été en 1950. Au cours des années 1950 et 1960, un grand nombre d'autres particules, faisant partie de la famille des [[hadron]]s ont ensuite été découvertes. Un schéma de classification pour organiser toutes ces particules, a été proposé indépendamment par [[Murray Gell-Mann]]<ref name="Gell-Man1964">
{{Article|auteur1=Gell-Mann, M.|titre=A Schematic Model of Baryons and Mesons|périodique=[[Physics Letters]]|volume=8|numéro=3|année=1964|doi=10.1016/S0031-9163(64)92001-3|bibcode=1964PhL.....8..214G|pages=214–215}}</ref> et [[George Zweig]]<ref name="Zweig1964a">
{{Article|auteur1=Zweig, G.|titre=An SU(3) Model for Strong Interaction Symmetry and its Breaking|périodique=CERN Report No.8182/TH.401|année=1964|lire en ligne=http://cds.cern.ch/record/352337/files/CERN-TH-401.pdf}}</ref>{{,}}<ref name="Zweig1964b">
{{Article|auteur1=Zweig, G.|titre=An SU(3) Model for Strong Interaction Symmetry and its Breaking: II|périodique=CERN Report No.8419/TH.412|année=1964|lire en ligne=http://lib-www.lanl.gov/la-pubs/00323548.pdf}}</ref> en 1964. Cette classification était alors connue sous le nom de « modèle des quarks ». Dans ce modèle, le proton et le neutron ne sont pas élémentaires, mais composés de différentes configurations d'un petit nombre d'autres particules véritablement élémentaires appelées [[parton]]s ou [[quark]]s. À partir de la fin des années 1960, le modèle des quarks a fait l'objet d'une vérification expérimentale, et il a finalement fourni une explication au moment magnétique anomal du neutron<ref>{{Article|auteur1=Gell|prénom1=Y.|auteur2=Lichtenberg|prénom2=D. B.|titre=Quark model and the magnetic moments of proton and neutron|périodique=Il Nuovo Cimento A|série=Series 10|volume=61|numéro=1|année=1969|doi=10.1007/BF02760010|bibcode=1969NCimA..61...27G|pages=27–40|s2cid=123822660}}</ref>{{,}}<ref name="Perk"/>. Aujourd'hui, le modèle des quarks fait partie du [[Modèle standard de la physique des particules|modèle standard]] de la physique des particules.

== Vidéos ==

* [https://www.youtube.com/watch?v=zBHD8ksx_Sg Ernest Rutherford résume l'état de la physique nucléaire en 1935.] (7 min, Nobelprize.org)
* [https://www.youtube.com/watch?v=xWWABW7nPOM Hans Bethe discute des travaux de Chadwick et Goldhaber sur la désintégration du deutéron.] (2 min, toile d'histoires)

== Notes et références ==
=== Notes ===
{{Traduction/Référence|en|Discovery of the neutron|1131256162|type=note}}
=== Notes d'explication ===
{{Notes}}
=== Références ===
{{Références|taille=30}}

<references group="lower-alpha" responsive="1"></references>

== Lectures complémentaires ==

* [http://webarchive.loc.gov/all/20150107225156/http%3A//alsos.wlu.edu/qsearch.aspx?browse%3Dscience/Neutrons Bibliographie annotée pour les neutrons de la bibliothèque numérique Alsos pour les questions nucléaires]
* [[Abraham Pais]], ''Inward Bound'', Oxford : Oxford University Press, 1986.{{ISBN|0198519974}}.
* [[Herwig Schopper]], ''Interactions faibles et désintégration bêta nucléaire'', Éditeur, North-Holland Pub. Co., 1966. {{OCLC|644015779}}
* [[Ruth Lewin Sime]], ''Lise Meitner : Une vie en physique'', Berkeley, University of California Press, 1996.{{ISBN|0520208609}}.
* Roger H. Stuewer, "L'hypothèse de l'électron nucléaire". Dans ''Otto Hahn et l'essor de la physique nucléaire'', William R. Shea, éd. Dordrecht, Pays-Bas : D. Riedel Publishing Company. pp. 19–67, 1983.{{ISBN|90-277-1584-X}}.
* [[Sin-Itiro Tomonaga]], ''L'histoire de Spin'', The University of Chicago Press, 1997.{{ISBN|9780226807942}}

{{Portail|physique}}

[[Catégorie:Neutron]]
[[Catégorie:Physique nucléaire]]
[[Catégorie:Chimie nucléaire]]