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{{Voir homonymes|ergodicité}}
[[Fichier:Ergodic hypothesis w reflecting rays.jpg|vignette|Les rayons qui se réfléchissent sur une surface parfaitement lisse (a) ne satisfont pas aux hypothèses ergodiques.]]
L''''hypothèse ergodique''', ou '''hypothèse d'ergodicité''', est une [[hypothèse]] fondamentale de la [[physique statistique]] selon laquelle, à l'équilibre, la valeur moyenne d'une [[Grandeur physique|grandeur]] calculée de manière statistique est égale à la moyenne d'un très grand nombre de mesures prises dans le temps. La première valeur est celle que permet de calculer la [[physique statistique]], la seconde est proche de ce qu'on peut expérimentalement mesurer. L'hypothèse ergodique est donc fondamentale pour un bon rapprochement entre la théorie et l'expérience.

L'hypothèse est formulée initialement par [[Ludwig Boltzmann]] en 1871 pour les besoins de sa [[théorie cinétique des gaz]]. Elle s'applique alors aux [[Système physique|systèmes]] composés d'un très grand nombre de [[Particule (physique)|particules]].

Un système pour lequel l'hypothèse ergodique est vérifiée est qualifié de ''système ergodique''. Dans la plupart des cas, il est très difficile de démontrer rigoureusement qu'un système est ergodique ou non. L'analyse mathématique de ce problème a donné naissance à la [[théorie ergodique]], qui précise la nature mathématique de l'hypothèse et donne des résultats sur ses conditions de validité. Mais l'hypothèse ergodique reste souvent une simple hypothèse, jugée vraisemblable ''a posteriori'' quand elle permet de faire des prédictions correctes. En ce sens, elle constitue un point faible de la physique statistique. 

L'hypothèse d'ergodicité intervient également en [[traitement du signal]], où elle consiste à admettre que l'évolution d'un signal aléatoire au cours du temps apporte la même information qu'un ensemble de réalisations. Elle est importante dans l'étude des [[chaînes de Markov]], les [[processus stationnaire]]s et pour l'[[apprentissage automatique]].

== Approche intuitive de l'hypothèse ergodique ==
	
D'une façon intuitive, et pour prendre l'exemple d'un [[gaz]], les milliards de [[Particule (physique)|particules]] qui le constituent peuvent être considérées comme des copies les unes des autres ayant toutes le même comportement aléatoire. Elles prennent chacune des valeurs aléatoires, probablement différentes, de position et de vitesse à un instant donné. La vitesse moyenne des particules peut se calculer en sommant les vitesses de toutes les particules à un instant donné. Cependant, on peut calculer également une moyenne en considérant une seule particule mais en mesurant ses vitesses à différents instants. L'hypothèse d'ergodicité revient à dire que les deux méthodes sont équivalentes.

On peut également penser à une forêt d'une seule espèce et s'intéresser à la croissance d'un arbre en fonction du temps : l'hypothèse ergodique revient à considérer qu'il est similaire d'observer la forêt à un instant donné, ou un arbre tout au long de sa vie pour en connaître l'évolution (par exemple relever le diamètre du tronc en fonction du temps ou mesurer tous les diamètres de la forêt et le reporter en fonction de l'âge de l'arbre).
{{...}}

== Historique ==

L'hypothèse ergodique est née avec la [[théorie cinétique des gaz]] et la [[physique statistique]] dans la seconde moitié du {{s-|XIX}}. Elle fut formulée initialement par [[Ludwig Boltzmann]] en 1871<ref>Ludwig Boltzmann ; K. Akademie der Wissenschaften (Wien) '''63''' (1871) 679.</ref>, ainsi que par [[James Clerk Maxwell|Maxwell]]<ref>James Clerk Maxwell ; Transaction of the Cambridge Philosophical Society '''12''' (1879) 547.</ref>.

Le nom « hypothèse ergodique » ne fut introduit qu'en 1911 par [[Paul Ehrenfest]] et [[Tatiana Afanassieva]] dans leur célèbre article de revue sur les fondements de la [[physique statistique]]{{sfn|Ehrenfest|1990||id=Ehrenfest1990}}. Il est construit à partir des termes grecs εργος, qui signifie « travail », et οδος, pour « chemin ». Boltzmann utilisait pour sa part dès 1884 un mot voisin, « ''ergoden'' », mais il donnait à ce mot un sens assez différent<ref>Ludwig Boltzmann ; K. Akademie der Wissenschaften (Wien) '''90''' (1884) 231. Pour plus de précisions sur ce point, voir {{harvsp|Brush|1976|id=Brush1976|loc={{chap.|10.10}}}}.</ref>.

== Formalisation mathématique de l'hypothèse ==
=== Représentation d'un système dans l'espace des phases ===

Soit un système à <math>N</math> degrés de liberté décrits à l'instant <math>t</math> par :

* les <math>N</math> [[coordonnées généralisées]] <math>q^i(t)</math>, <math>(i = 1, ..., N)</math>
* les <math>N</math> [[Mécanique_hamiltonienne#Moment_conjugué|moments conjugués]] <math>p_j(t)</math>, <math>(j = 1, ..., N)</math>. 

À chaque instant, les <math>2N</math> coordonnées <math>(q^i(t),p_j(t))</math> définissent un point <math>x(t)</math> dans l'[[espace des phases]] <math>\Gamma </math>. Ce point représente l'état du système à cet instant <math>t</math>.

On considère de plus que le système est à l'équilibre, c'est-à-dire que ses propriétés sont invariantes dans le temps. Un tel système satisfait toujours à la [[conservation de l'énergie]] qui s'écrit :

:<math> \forall \ t, \quad H(q^i(t),p_j(t)) \ = \ E</math>

de telle sorte que sa dynamique est toujours restreinte à une hypersurface <math>S_E \subset \Gamma</math> à <math>2N-1</math> dimensions. On supposera dans la suite que le système hamiltonien considéré est [[invariant]] par translation dans le temps et qu{{'}}''il ne possède pas d'autre constante du mouvement que l'énergie''<ref>Cette dernière hypothèse implique qu'il ne peut pas s'agir d'un [[système isolé]]. En effet, tout système isolé possède une quantité de mouvement totale constante et un moment cinétique total constant. Ces deux constantes du mouvement ''vectorielles'' sont équivalentes à six constantes du mouvement ''scalaires''. Un système isolé possède donc ''a priori'' sept constantes du mouvement.</ref>.

=== Évolution du système, flot hamiltonien ===

L'évolution dynamique du système selon les [[Mécanique hamiltonienne|équations canoniques]] de Hamilton à partir d'une condition initiale <math> x_0 \ = \ (q^i_0,p_{j0})</math> engendre le [[Flot (mathématiques)|flot]] hamiltonien <math>\phi_t : \Gamma  \to \Gamma </math>, c'est-à-dire le [[groupe continu à un paramètre]] tel que :

:<math> x(t) \ = \ \phi_t(x_0)</math>

La succession des positions <math>x(t)</math> dans l'[[espace des phases]] est une courbe ''continue'', appelée ''orbite''.

=== Grandeurs mesurables et valeurs moyennes ===

À une grandeur physique mesurable correspond une fonction sur l'espace des phases qui à chaque point, correspondant à un état du système, associe une valeur. On notera <math>f</math> cette fonction. Il existe deux valeurs moyennes distinctes pour cette grandeur. On peut faire une ''moyenne temporelle'' en faisant la moyenne d'une série de mesures effectuées sur un temps suffisamment long. Mathématiquement, on la représente par la limite (si elle existe) :

:<math> \overline{f(x_0)} \ = \ \lim_{T \rightarrow + \infty} \frac{1}{T} \int_0^T f \left( \phi_t (x_0) \right)dt </math>.

Cette valeur moyenne dépend a priori de la condition initiale <math>x_0</math>. 

On peut également définir la ''moyenne d'ensemble'' de <math>f</math>, ou [[Physique statistique|moyenne microcanonique]], par :

:<math> \langle \ f \ \rangle \ = \ \frac{1}{\mu(X)} \ \int_X f\,d\mu </math>,
:où <math> \mu </math> est une mesure sur l'espace des phases.

La moyenne d'ensemble et la moyenne temporelle n'ont a priori pas de raison d'être égales. L'hypothèse ergodique consiste à supposer qu'elles le sont.

=== Théorème ergodique de Birkhoff ===

L'évolution du système dans le temps est déterminé par le flot hamiltonien, c'est-à-dire l'application <math>\phi</math>. Cette application sera dite ergodique pour une mesure donnée si et seulement si tout ensemble mesurable invariant sous <math>\phi</math>  est de mesure nulle, ou de complémentaire de mesure nulle.

Le théorème de Birkhoff montre alors que lorsque l'application <math>\phi</math> est ergodique, moyenne spatiale et moyenne temporelle sont effectivement égales presque partout.

=== Hypothèses ergodiques forte et faible ===

Le théorème de Birkhoff présenté ci-dessus permet de formuler l'hypothèse ergodique non plus comme une égalité de moyenne, mais en fonction des propriétés du flot hamiltonien <math>\phi</math>, c'est-à-dire de l'évolution du point représentatif du système dans l'espace des phases.  

On peut alors distinguer ''deux'' hypothèses ergodiques distinctes. Un système hamiltonien invariant par translation dans le temps est dit ''ergodique au sens fort'' si le point représentatif de ce système passe au cours du temps ''par chaque point'' de l'hypersurface d'énergie constante. Un système hamiltonien invariant par translation dans le temps est dit ''ergodique au sens faible'' si le point représentatif de ce système passe au cours du temps ''aussi près que l'on veut de chaque point'' de l'hypersurface d'énergie constante.

Boltzmann et Maxwell utilisèrent dans leurs travaux les deux énoncés de façon indifférenciée{{sfn|Brush|1976|id=Brush1976|loc={{chap.|10.10}}}}. La non-équivalence mathématique des deux hypothèses ergodiques précédentes n'a été reconnue explicitement qu'en 1910 par Paul Hertz<ref>{{Article| langue = de | auteur = Paul Hertz | titre = Über der Thermodynamischen Grundlagen der Thermodynamik | journal = Annalen der Physik | vol = 33 | date = 1910 | pages = 225-274 et 537-552 | texte = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k153366 }}</ref>.

== Conditions de validité de l'hypothèse ergodique ==
=== Théorème « no-go » de Plancherel et Rosenthal (1912-1913) ===

Utilisant les résultats de la [[théorie des ensembles]] de [[Georg Cantor|Cantor]] d'une part, et de la [[théorie de la mesure]] de [[Henri Léon Lebesgue|Lebesgue]] d'autre part, les deux mathématiciens [[Michel Plancherel|Plancherel]] et [[Arthur Rosenthal|Rosenthal]] ont démontré indépendamment le théorème suivant<ref>Michel Plancherel ; Archives des sciences physiques & naturelles (Genève) '''33''' (1912) 254. {{Article | auteur = Michel Plancherel | titre = Beweis des Unmöglichkeit ergodischer mechanischer Systeme | journal = Annalen der Physik | vol = 42 | date = 1913 | pages = 1061 | texte = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k153455}}. {{Article | auteur = A. Rosenthal | titre = Beweis des Unmöglichkeit ergodischer Gassysteme | journal = Annalen der Physik | vol = 42 | date = 1913 | pages = 796 | texte = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k153455}}. Une traduction en anglais de ces articles se trouve dans : {{Article | auteur = [[Stephen G. Brush]]  | titre = Milestones in mathematical physics - Proof of the impossibility of ergodic systems: the 1913 papers of Rosenthal and Plancherel. | journal = Transport Theory & Statistical Physics | vol = 1 | date = 1973 | pages = 287-298 | texte = http://www.informaworld.com/openurl?genre=article&issn=0041%2d1450&volume=1&issue=4&spage=287}}.</ref> :

{{Bloc emphase|Un flot hamiltonien ne peut pas être ergodique (au sens fort).}}

En revanche, il a été démontré depuis que certains systèmes pouvaient être ergodiques au sens faible ; voir l'article [[Théorie ergodique]].

== Au fondement de la mécanique statistique ? ==

En dépit des importants progrès réalisés en [[théorie ergodique]] et en [[théorie du chaos]], l'utilisation de l'hypothèse ergodique pour justifier l'utilisation de l'ensemble microcanonique en [[mécanique statistique]] reste à ce jour controversée<ref>Lire par exemple :
* {{en}} George W. Mackey, ''Ergodic Theory and its Significance for Statistical Mechanics and Probability Theory'', Advances in Mathematics '''12(2)''' (1974), 178-268.
* {{en}} Oliver Penrose, ''Foundations of Statistical Mechanics'', Report on Progress in Physics '''42''' (1979), 1937.
* {{en}} Domokos Szasz, ''Botzmann's ergodic hypothesis, a conjecture for centuries ?'', Studia Scientiarium Mathematicarum  Hungarica (Budapest) '''31''' (1996) 299-322. Texte au format [http://www.renyi.hu/~szasz/preprints/boltz.ps Postscript].</ref>.

== Notes et références ==
{{Conventions bibliographiques|date=février 2024}}
{{References|taille=40}}

== Voir aussi ==
=== Bibliographie ===
{{Légende plume}}
* {{Ouvrage | langue=fr | auteur1=Anouk Barberousse | titre=La Mécanique Statistique | sous-titre=De Clausius à Gibbs | lieu=Paris | éditeur=[[Belin éditeur|Belin]] | collection=Histoire des Sciences | année=2002 | pages totales=239 | passage=144-149 | isbn=978-2-7011-3073-6 | isbn2=2-7011-3073-5 | titre chapitre=L'hypothèse ergodique : une histoire souterraine}}
* {{Ouvrage | langue=en | langue originale=de | auteur1=Paul Ehrenfest | auteur2=Tatiana Ehrenfest | titre=The Conceptual Foundations of the Statistical Approach in Mechanics | lieu=New York | éditeur=Dover Inc. | année=1990 | pages totales=114 | isbn=978-0-486-66250-3 | isbn2=0-486-66250-0 | lccn=89077772 | lire en ligne=https://books.google.com/books?id=fhkeBQAAQBAJ&printsec=frontcover |id=Ehrenfest1990 |plume=oui}} {{Commentaire biblio|Réédition d'un article classique paru initialement en allemand en 1912. Niveau second cycle universitaire. Il en a existé une traduction française, réalisée par le mathématicien Émile Borel : Encyclopédie des Sciences Mathématiques 4(1.1) (1915) 188.}}
* {{Ouvrage |langue=en |auteur=[[Stephen G. Brush]] |titre=''The Kind of Motion we call Heat - A History of the Kinetic Theories of Gases in the 19th Century'' (2 vols.), |éditeur=North-Holland |année=1976 |tome=2 |titre tome=''Statistical Physics and Irreversible Processes'' |isbn=0-444-87009-1 |id=Brush1976 |plume=oui}} {{Commentaire biblio | Histoire érudite du développement de la théorie cinétique des gaz, par un professeur de mécanique des fluides de l'Université du Maryland (États-Unis). Niveau second cycle universitaire.}}
* {{Ouvrage | langue=en | auteur1=Gérard Emch | auteur2=Chuang Liu | titre=The logic of thermo-statistical physics | lieu=Berlin | éditeur=[[Springer Science+Business Media|Springer-Verlag]] | année=2002 | pages totales=703 | isbn=978-3-540-41379-0 | isbn2=3-540-41379-0 | lire en ligne=https://books.google.com/books?id=5kGcJ-n0b8MC&printsec=frontcover}}
* {{Ouvrage | langue=en | auteur1=A.I. Khinchin | titre=Mathematical Foundations of Statistical Mechanics | lieu=Douvres | éditeur=DoverPublication, Inc. | année=1949 | pages totales=179 | format livre=poche | isbn=978-0-486-60147-2 | isbn2=0-486-60147-1 | lccn=49009707 | lire en ligne=https://books.google.com/books?id=aZn3DQAAQBAJ&printsec=frontcover}}{{Commentaire biblio|Ouvrage classique sur les fondements de la physique statistique, notamment l'hypothèse ergodique. Niveau second cycle universitaire.}}
* {{Ouvrage | langue=en | prénom1=Carlo | nom1=Cercignani | titre=Ludwig Boltzmann | sous-titre=The man who Trusted Atoms | lieu=Oxford | éditeur=[[Oxford University Press]] | année=1998 | numéro d'édition=1 | pages totales=329 | isbn=978-0-19-850154-1 | isbn2=0-19-850154-4 | lccn=98017743 | lire en ligne=https://books.google.com/books?id=iikSDAAAQBAJ&printsec=frontcover}}{{Commentaire biblio|Biographie scientifique du grand professeur Boltzmann, qui a porté la théorie cinétique des gaz à son acmée. Par un professeur de Physique Mathématique de l'Université de Milan (Italie), spécialiste de l'"équation de Boltzmann". Niveau plutôt second cycle universitaire.}}
* Giovanni Gallavotti, ''Ergodicity, ensembles, irreversibility in Boltzmann and beyond'' (1994). Texte complet disponible sur arXiv : [http://fr.arxiv.org/abs/chao-dyn/9403004 chao-dyn/9403004].

=== Articles connexes ===
* [[Billard de Sinaï]]
* [[Mécanique hamiltonienne]]
* [[Physique statistique]]
* [[Théorie cinétique des gaz]]
* [[Théorie ergodique]]
* [[Expérience de Fermi-Pasta-Ulam]]
* [[Théorème KAM]]

{{Palette|Physique statistique}}
{{portail|physique}}

[[Catégorie:Physique statistique]]
[[Catégorie:Théorie du signal]]