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Un '''rapport isotopique''' est le rapport des nombres d'[[atome]]s de deux [[isotope]]s dans un même [[échantillon (matière)|échantillon]]. On restreint souvent le terme de rapport isotopique au cas de deux isotopes d'un même [[élément chimique]], mais il peut être employé pour celui de deux isotopes d'éléments différents{{note |groupe=alpha |Les [[radiochronologie|géochronologistes]] préfèrent appeler ''rapports chimiques'' les rapports isotopiques impliquant deux isotopes de deux éléments différents.}}. La mesure, l'interprétation et la modélisation des rapports isotopiques sont le quotidien des [[géochimie isotopique|géochimistes isotopistes]]. Les rapports isotopiques servent à la [[datation radiométrique|datation]] d'événements géologiques ainsi qu'au décryptage des processus [[géodynamique]]s (traçage des sources, notamment). Ils trouvent aussi d'autres applications dans des domaines variés : [[glaciologie]] et [[paléoclimatologie]], [[archéologie]] et [[paléontologie]], [[histoire évolutive du vivant|histoire précoce de la vie]], etc.

== Définition et notations ==
=== Définition ===
Un rapport isotopique est défini comme le rapport :
:<math>r_{12}=\frac{N\text{(isotope 1)}}{N\text{(isotope 2)}}</math>
où ''N''(isotope) représente le nombre d'atomes de l'isotope considéré dans un échantillon (ou plus souvent une petite fraction de l'échantillon).

=== Notation standard et usages ===
On note conventionnellement un rapport isotopique par le rapport des symboles des deux isotopes, mis entre parenthèses. Ainsi <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Sr}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math> représente-t-il le rapport isotopique du [[strontium 87]] et du [[strontium 86]] (c'est-à-dire <math>\tfrac{N\left(^{87}\mathrm{Sr}\right)}{N\left(^{86}\mathrm{Sr}\right)}</math>), et <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Rb}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math> celui du [[rubidium 87]] et du strontium 86.
* En [[datation radiométrique|radiochronologie]] on choisit généralement de mettre au dénominateur un isotope [[isotope stable|stable]] et non [[nucléide radiogénique|radiogénique]] : {{12}}C, {{exp|86}}Sr, {{exp|144}}Nd, etc. Les rapports isotopiques utilisés pour la datation auront alors au numérateur l'isotope père et l'isotope fils de la [[désintégration radioactive]] employée comme chronomètre : <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Rb}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math> et <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Sr}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math> pour la [[datation par le rubidium-strontium|datation rubidium-strontium]], <math>\left(\tfrac{^{147}\mathrm{Sm}}{^{144}\mathrm{Nd}}\right)</math> et <math>\left(\tfrac{^{143}\mathrm{Nd}}{^{144}\mathrm{Nd}}\right)</math> pour la datation [[samarium]]-[[néodyme]], etc. Dans le cas particulier de la [[datation par le carbone 14|datation au carbone 14]] on n'utilise pas l'isotope fils, on ne se sert que du rapport <math>\left(\tfrac{^{14}\mathrm C}{^{12}\mathrm C}\right)</math>. Dans les méthodes de datation par déséquilibre radioactif on utilise un rapport isotopique impliquant deux isotopes radioactifs membres d'une même [[chaîne de désintégration]]s, par exemple <math>\left(\tfrac{^{230}\mathrm{Th}}{^{238}\mathrm{U}}\right)</math> pour la [[datation par l'uranium-thorium|datation uranium-thorium]].
* En [[géodynamique chimique]]<ref>{{chapitre |auteur=Claude J. Allègre |date=1980 |titre chapitre=La géodynamique chimique |titre ouvrage=Livre Jubilaire de la Société Géologique de France |volume=10 |passage=87-104}}.</ref>, pour le traçage des sources des [[magma (géologie)|magmas]] par exemple, on utilise des rapports isotopiques impliquant deux isotopes stables d'un même élément, l'un radiogénique et l'autre pas : <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Sr}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math>, <math>\left(\tfrac{^{143}\mathrm{Nd}}{^{144}\mathrm{Nd}}\right)</math>, <math>\left(\tfrac{^{207}\mathrm{Pb}}{^{206}\mathrm{Pb}}\right)</math>, <math>\left(\tfrac{^{4}\mathrm{He}}{^{3}\mathrm{He}}\right)</math>, etc.
* En [[Géochimie isotopique#Géochimie des isotopes stables|géochimie des isotopes stables]] on choisit généralement de mettre au dénominateur l'isotope le plus abondant, par exemple <math>\left(\tfrac{^{17}\mathrm O}{^{16}\mathrm O}\right)</math> et <math>\left(\tfrac{^{18}\mathrm O}{^{16}\mathrm O}\right)</math> pour les [[isotopes de l'oxygène]], <math>\left(\tfrac{^{13}\mathrm C}{^{12}\mathrm C}\right)</math> pour [[isotopes du carbone|ceux du carbone]], etc.

=== Notation δ ===
Un assez grand nombre de rapports isotopiques ne varient que d'une très faible fraction, néanmoins significative en raison de la très grande précision des mesures isotopiques. Plutôt que de manipuler des nombres ne différant que par la {{3e}}, {{4e}} voire {{5e|décimale}}, il est alors commode de manipuler les variations relatives du rapport isotopique ''r'', par rapport à un rapport isotopique [[norme et standard techniques|standard]] ''r''{{ind|0}} approprié. On définit ainsi la notation δ :
:<math>\delta=\frac r{r_0}-1</math>
Ces valeurs, [[analyse dimensionnelle|sans dimension]], sont généralement de l'ordre de quelques millièmes ou dix-millièmes, et donc exprimées en [[pour mille|‰]] ou [[point de base|‱]]{{note |groupe=alpha |On définit parfois la notation δ par <math>\delta=1000\left(\tfrac r{r_0}-1\right)</math> ou <math>\delta=10000\left(\tfrac r{r_0}-1\right)</math> pour donner ensuite les valeurs sans ‰ ou ‱, mais c'est moins général et donc à déconseiller.}}.

Par exemple, pour les [[isotopes de l'oxygène]] :
:<math>\delta^{17}\!\mathrm O=\frac{(^{17}\mathrm O/^{16}\mathrm O)}{(^{17}\mathrm O/^{16}\mathrm O)_\mathrm{SMOW}}-1</math> &nbsp;et&nbsp; <math>\delta^{18}\!\mathrm O=\frac{(^{18}\mathrm O/^{16}\mathrm O)}{(^{18}\mathrm O/^{16}\mathrm O)_\mathrm{SMOW}}-1</math>
où le standard classiquement utilisé est l'[[Vienna Standard Mean Ocean Water|eau océanique moyenne]] définie à [[Vienne (Autriche)|Vienne]] en 1968 (notée SMOW, pour ''Standard Mean Ocean Water'').

De même, pour les [[isotopes du carbone]] :
:<math>\delta^{13}\!\mathrm C=\frac{(^{13}\mathrm C/^{12}\mathrm C)}{(^{13}\mathrm C/^{12}\mathrm C)_\mathrm{PDB}}-1</math>
où le standard classiquement utilisé est constitué par le fossile ''Belemnitella americana'' (une [[Belemnoidea|bélemnite]] du [[Crétacé supérieur]]) de la [[formation géologique|formation]] {{lien |trad=Peedee Formation |fr=Formation Peedee |texte=Peedee}} en [[Caroline du Sud]], également défini à Vienne en 1968 (noté PDB, pour ''Pee Dee Belemnite'').

== Mesure ==
La [[mesure physique|mesure]] des rapports isotopiques peut se faire ''{{page h'|in situ}}'' à l'aide d'une [[Microsonde ionique|sonde ionique]], mais on la réalise plus souvent sur des sels ou des gaz extraits des échantillons à étudier, à l'aide d'un [[spectrométrie de masse|spectromètre de masse]]. Afin d'obtenir un bon rendement du spectromètre et d'éviter les interférences entre [[nucléide]]s [[isobare (chimie)|isobares]] on doit en général passer préalablement par des étapes de dissolution de l'échantillon, séparation des éléments chimiques, concentration et dépôt, opérations délicates et sensibles aux contaminations, et qui se déroulent donc ordinairement en [[salle blanche]]. La précision obtenue varie d'un élément à l'autre, dépendant notamment de sa [[masse atomique]] et de sa richesse en isotopes stables non radiogéniques (la présence d'au moins deux tels isotopes permet de corriger la ''discrimination de masse'', un [[effet isotopique]] inhérent au fonctionnement des spectromètres de masse). Pour un même élément chimique la précision de la mesure dépend de la qualité du spectromètre (et de son entretien) mais aussi de la rigueur avec laquelle sont traitées les étapes chimiques et la [[étalonnage (métrologie)|calibration]] du spectromètre{{note |groupe=alpha |La précision utile dépend du sujet d'étude. Si par exemple on s'intéresse à la composition isotopique du [[plomb]] dans des [[galène]]s, on pourra opérer sans grande précaution et avec un spectromètre ancien (parce que les échantillons sont très riches en plomb et que ce plomb est de composition isotopique très variable). Si au contraire on étudie le plomb des [[météorite de fer|météorites de fer]], extrêmement pauvres en plomb de composition isotopique très peu variable, il faudra être extrêmement efficace et précautionneux dans la séparation chimique et utiliser un spectromètre de dernière génération.}}.

== Variabilité ==
=== Sciences de la Terre et planétologie ===
La variabilité des rapports isotopiques entre échantillons géologiques, terrestres ou extraterrestres, voire au sein d'une même roche ou d'un même minéral, peut être due à plusieurs facteurs :
* une hétérogénéité isotopique initiale, dans la [[nébuleuse solaire]] puis dans les matériaux qui se sont rassemblés pour former la Terre ou d'autres [[objet céleste|corps]]. Les mesures effectuées sur les échantillons provenant de la Terre, de la Lune et des météorites indiquent à la fois que la nébuleuse solaire était globalement bien mélangée en termes de composition isotopique mais que dans le détail il s'y trouvait des différences significatives (faibles mais à la portée de nos capacités de mesure) ;
* la [[désintégration radioactive|désintégration]] des isotopes radioactifs, qui fait augmenter au fil du temps le rapport isotopique impliquant l'isotope fils et un isotope non radiogénique du même élément (la désintégration progressive de {{exp|87}}Rb, par exemple, fait augmenter le rapport <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Sr}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math>). Cette augmentation est d'autant plus rapide que l'élément radioactif est abondant, comparé à l'élément de l'isotope fils (le rapport <math>\left(\tfrac{^{87}\mathrm{Sr}}{^{86}\mathrm{Sr}}\right)</math>, par exemple, augmente d'autant plus vite que le rapport chimique <math>\left(\tfrac\mathrm{Rb}\mathrm{Sr}\right)</math> est plus élevé). Cette augmentation est mise à profit en [[datation radiométrique|géochronologie]] et en géodynamique chimique ;
* le [[fractionnement isotopique]] lors de la fusion, cristallisation, vaporisation, condensation ou réaction chimique partielle d'un matériau, qui a pour conséquence que le produit de la transformation partielle a une composition isotopique légèrement différente de celle du matériau de départ. Ce fractionnement suit une loi différente selon qu'il se produit :
** à proximité de l'[[équilibre thermodynamique|équilibre]]. Le rapport de fractionnement <math>\alpha=\tfrac{r_\mathrm{produit}}{r_\mathrm{d\acute epart}}</math> (où ''r'' désigne un rapport isotopique) suit alors une loi connue, et dépend notamment de la température{{note| groupe=alpha| Quand un élément chimique est présent dans différents [[site cristallographique|sites cristallographiques]] du produit, le fractionnement isotopique peut être différent pour les différents sites<ref>{{article| langue=en| périodique=[[Geochimica et Cosmochimica Acta]]| volume=219| date=15 decembre 2017| pages=57-73| titre=Site-specific equilibrium isotopic fractionation of oxygen, carbon and calcium in apatite| auteur1=Julie Aufort| auteur2=Loïc Ségalen| auteur3=Christel Gervais| auteur4=Lorenzo Paulatto| auteur5=Marc Blanchard| auteur6=Etienne Balan| doi=10.1016/j.gca.2017.09.020}}.</ref>.}},
** loin de l'équilibre. C'est alors la vitesse de la transformation ou de réaction qui n'est pas la même pour différents isotopes du même élément chimique{{note| groupe=alpha| Le fractionnement cinétique des isotopes, comme celui des éléments chimiques, peut différer d'une face à l'autre d'un même cristal. On peut ainsi observer un {{page h'|zonage}} sectoriel chimique et isotopique.}}. Ce fractionnement cinétique est en général plus marqué que le fractionnement à l'équilibre. On observe aussi une différence de vitesse pour d'autres processus comme l'[[loi de Darcy|écoulement à travers un milieu poreux]] ou la [[diffusion de la matière|diffusion chimique]]. Cet [[effet isotopique cinétique|effet isotopique]] est notamment mis à profit pour l'[[enrichissement de l'uranium]] ;
* le fractionnement cristallographique, quand un même élément chimique occupe des [[site cristallographique|sites cristallins]] différents (par leur environnement chimique ou leur symétrie) : les différents isotopes ne se partagent pas également entre les différents sites. C'est notamment le cas des silicates porteurs de groupes hydroxyles ([[goethite]], [[kaolinite]], [[muscovite]], [[illite]], [[smectite]], [[groupe des chlorites|chlorites]]), où les deux sites de l'oxygène ne sont pas équivalents. Les isotopes les plus lourds se partagent préférentiellement dans le site sans hydrogène associé. La quantité <math>\varepsilon=10^3\,\ln\tfrac{(^{18}\mathrm O/^{16}\mathrm O)_\mathrm{global}}{(^{18}\mathrm O/^{16}\mathrm O)_\mathrm{OH}}</math>, accessible à la mesure, dépend de la température de formation du cristal ce qui conduit à des applications {{lien| trad=Paleothermometer| fr=paléothermométrie| texte=paléothermométriques}}<ref name=Miller2020>{{article| langue=en| titre=Intracrystalline site preference of oxygen isotopes in goethite: A single-mineral paleothermometer| auteur1=Hayden B. D. Miller| auteur2=Kenneth A. Farley| auteur3=Paulo M. Vasconcelos| auteur4=Albert Mostert| auteur5=John M. Eilera| périodique=[[Earth and Planetary Science Letters]]| volume=539| date=1 juin 2020| numéro article=116237| doi=10.1016/j.epsl.2020.116237}}.</ref>.

=== Autres disciplines ===
La variabilité isotopique des échantillons [[glaciologie|glaciologiques]], [[paléoclimatologie|paléoclimatologiques]], [[biologie|biologiques]], [[archéologie|archéologiques]] ou [[paléontologie|paléontologiques]] est due aux mêmes facteurs que celle des échantillons [[géologie|géologiques]], à l'exception du premier : la désintégration des isotopes radioactifs de courte [[période radioactive|demi-vie]] (compte tenu des échelles de temps intéressant ces disciplines) et le fractionnement isotopique, surtout [[effet isotopique|celui de nature cinétique]] (les réactions biochimiques notamment, qui s'effectuent presque toujours très loin de l'équilibre, induisent un fractionnement isotopique souvent très supérieur à celui des réactions chimiques et transformations physiques du monde minéral).

== Notes et références ==
=== Notes ===
{{références|groupe=alpha}}

=== Références ===
{{Références}}

{{Portail|chimie|minéraux et roches|physique}}

[[Catégorie:Géochimie]]
[[Catégorie:Grandeur sans dimension]]
[[Catégorie:Isotope]]