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En [[mathématiques]], et plus précisément en [[analyse (mathématiques)|analyse]], le '''[[théorème]] de Rolle''' (souvent mentionné sous le nom de '''[[lemme (mathématiques)|lemme]] de Rolle'''), en référence à [[Michel Rolle]], est un résultat fondamental concernant la [[dérivée]] d'une [[fonction réelle d'une variable réelle]]. Il énonce que si une fonction dérivable prend la même valeur en deux points, alors sa dérivée s'annule au moins une fois entre ces deux points.

== Énoncé ==

[[Image:Théorème de Rolle.png|thumb|upright=1.5|Illustration du théorème de Rolle. Ici, trois valeurs ''c'' vérifient le théorème.]]
Le théorème de Rolle s'énonce de la façon suivante : 
{{Théorème|
Soient ''{{math|a}} ''et ''{{math|b}} ''deux réels tels que ''{{math|a < b}} ''et ''{{math|f}} ''une fonction à valeurs ''réelles'' [[Continuité (mathématiques)|continue]] sur {{math|[''a'', ''b'']}} et [[dérivée|dérivable]] sur {{math|]''a'', ''b''[}} telle que
{{retrait|<math>f(a)=f(b).</math>}}
Alors, il existe (au moins) un réel ''{{math|c}} ''dans {{math|]''a'', ''b''[}} tel que
{{retrait|<math>f'(c)=0.</math>}}
}}

== Remarques ==
Le théorème de Rolle ne heurte pas l'intuition :

* dire qu'il existe au moins un élément où la dérivée de ''f'' est nulle, c'est dire qu'il existe un point où la [[Tangente (géométrie)|tangente]] à la courbe ''y'' = ''f''(''x'') est ''horizontale'' ;
* dire que la fonction est dérivable sur l'intervalle, c'est dire que sa représentation graphique n'a pas de discontinuités, ni même de points anguleux.

Les hypothèses nous garantissent par le [[théorème des bornes]] que la fonction a [[Extremum|un minimum et un maximum]]. Il y a donc bien (au moins) un point ''c'' entre ''a'' et ''b'' tel que ''f''(''c'') soit un maximum ou un minimum. En un tel point, la tangente à la courbe est ''horizontale''.

Ce théorème permet d'intégrer les propriétés topologiques nécessaires des  [[nombre réel|nombres réels]] dans l'analyse des fonctions réelles d'une variable réelle.
Les propriétés topologiques sont intégrées à la démonstration à travers le théorème des bornes.

Le théorème de Rolle ne s'étend pas aux fonctions d'une variable réelle à valeurs [[espace vectoriel|vectorielles]]. Ainsi, la fonction dérivable de ℝ dans [[nombre complexe|ℂ]] définie par {{math|''f''(''t'') {{=}} [[Exponentielle complexe|e{{exp|i''t''}}]]}} satisfait {{math|''f''(0) {{=}} ''f''(2π)}} alors que sa dérivée, {{math|''f ' ''(''t'') {{=}} i e{{exp|i''t''}}}}, ne s'annule pas.

== Applications ==
Ce théorème est utilisé pour la démonstration du [[théorème des accroissements finis]] (dont il est un cas particulier, d'où son appellation fréquente de lemme de Rolle) ; ce dernier théorème  sert à son tour à construire le [[développement limité]] d'une fonction et à établir le [[théorème de Taylor]]. C'est la raison pour laquelle le théorème de Rolle est incontournable dans la construction de l'analyse.

Si ''P'' est un [[polynôme]] réel ayant au moins ''p'' racines réelles distinctes, alors son polynôme dérivé a au moins ''p ''– 1 racines réelles distinctes.

== Démonstration ==
Le théorème de Rolle se déduit facilement<ref>Voir par exemple {{Ouvrage|titre=Mini Manuel d'analyse|auteur=Charlotte Scribot|auteur2=François Liret|éditeur=[[Dunod]]|année=2010|url={{Google Livres|bsmndMYhlUwC|page=29}}|page=29}}, ou {{Note autre projet|wikiversité|Fonctions d'une variable réelle/Dérivabilité#Théorèmes sur la dérivation|démonstration du théorème de Rolle|début=cette}}</ref> du [[théorème des bornes]] et du [[théorème de Fermat sur les points stationnaires]].

== Généralisations ==

Soient {{math|–∞}} ≤ ''a < b ''≤ {{math|+∞}} et soit ''f '': ]''a'', ''b''[ → ℝ une fonction dérivable, possédant en ''a ''et ''b ''une même limite (éventuellement infinie). Alors, il existe un réel ''c'' dans ]''a'', ''b''[ tel que ''f' ''(''c'') = 0<ref>{{Note autre projet|wikiversité|Fonctions d'une variable réelle/Exercices/Dérivabilité#Exercice 2 : Généralisation du théorème de Rolle|Exercice corrigé|début=}}</ref>.

D'autre part, si ''f'' est ''n'' fois dérivable sur <math>[a,b]</math> et s'annule en ''n'' + 1 points <math>a=a_0<a_1<\dots<a_{n-1}<a_n=b</math>, alors la dérivée ''n''-ème de ''f'' s'annule au moins une fois sur <math>[a,b]</math> ; l'[[indice de Voorhoeve]] permet de généraliser encore ce résultat à des fonctions à valeurs complexes.

== Histoire ==
[[Michel Rolle]] publie son ''Traité d'algèbre''<ref>{{Ouvrage|auteur=M. Rolle|url=http://www.e-rara.ch/doi/10.3931/e-rara-16898|titre=Traité d'algèbre|sous-titre=ou principes généraux pour résoudre les questions de mathématique|lieu=Paris|année=1690}}.</ref> en 1690 suivi, en 1691, d'une ''Démonstration d'une méthode pour résoudre les égalités de tous les degrés''<ref>{{Ouvrage|auteur=M. Rolle|url=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58202643.r=Michel+Rolle.langFR|titre=Démonstration d'une méthode pour résoudre les égalités de tous les degrés|lieu=Paris|année=1691}}.</ref>. Dans ces ouvrages, il propose une méthode permettant de déterminer un encadrement des [[Racine d'un polynôme|racines d'un polynôme]]. Cette méthode, purement algébrique, consiste à définir à partir du polynôme initial un autre polynôme, appelé cascade, obtenu en multipliant chaque coefficient du polynôme initial par le degré correspondant<ref>{{Harvsp|Rolle|1690|p=[http://www.e-rara.ch/zut/content/pageview/5380685 125]}}.</ref>{{,}}<ref>{{en}} Julius Chain, « The method of cascades », ''[[The American Mathematical Monthly|Amer. Math. Monthly]]'', vol. 44, {{n°|1}}, 1937, {{p.|24-29}}.</ref>. Ainsi, le polynôme 
:<math>(y-6)(y-21)(y-30)=y^3-57y^2+936y-3780</math> 
admet comme cascade le polynôme 
:<math>3y^3-114y^2+936y = 3y(y-12)(y-26)</math>
Excluant de la cascade la racine nulle artificiellement introduite, Rolle énonce que les racines de la cascade (12 et 26) séparent les racines du polynôme initial (6, 21 et 30)<ref>{{Harvsp|Rolle|1691|p=[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58202643/f33.image.r=Michel%20Rolle.langFR 20]}}.</ref>. [[Colin Maclaurin]] donnera une autre démonstration<ref>{{en}} « [http://rstl.royalsocietypublishing.org/content/36/407-416/59.full.pdf A second letter from Mr. Colin M{{exp|c}} Laurin] […] concerning the roots of equations […] », ''[[Philosophical Transactions of the Royal Society|Philos. Trans. R. Soc.]]'', 1729, {{p.|88}}.</ref> du même théorème en 1729, également sous forme algébrique.

À la même époque se développe le [[calcul infinitésimal]] de [[Gottfried Wilhelm Leibniz|Leibniz]] et [[Isaac Newton|Newton]] et il apparaît alors que la cascade de Rolle, au facteur ''y'' près, n'est autre que la dérivée du polynôme initial. Le théorème de Rolle sera utilisé pendant près de 150 ans dans son cadre algébrique pour séparer ou approcher<ref>J.-L. Lagrange, « [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k215570z/f541.image Sur la résolution des équations numériques] », ''Mémoires de l'[[Académie royale des sciences de Prusse|Académie de Berlin]]'', 1769 — ''Œuvres de Lagrange'', t. II, {{p.|539}}.</ref> les racines d'un polynôme, mais finira par prendre la forme : ''entre deux racines d'une équation est comprise une racine de l'équation dérivée''<ref>{{Article|lang=it|auteur=[[Giusto Bellavitis]]|titre=Sul più facile modo di trovare le radici reali delle equazioni algebriche, e sopra un nuovo metodo per la determinazione delle radici immaginarie|url=https://www.biodiversitylibrary.org/item/33098#page/133/mode/1up|revue=Memorie del Real Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arte|année=1847|vol=III|p.=111}}, énonce que {{Citation étrangère|lang=it|Rolle osserv'o che fra due radici di una equazione è sempre compresa una radice della sua equazione ''derivata''}}.</ref>{{,}}<ref>{{Article|url=http://www.numdam.org/article/NAM_1879_2_18__36_1.pdf|titre=[[Agrégation de mathématiques|Agrégation des sciences mathématiques]] (concours de 1878)|revue=[[Nouvelles annales de mathématiques]]|série=2|tome=XVIII|année=1879|éditeur=[[Gauthier-Villars]]|p.=40}} : {{Citation|Théorème de Rolle. — Application à la séparation des racines d'une équation algébrique ou transcendante.}}.</ref>.

L'extension du théorème de Rolle au champ de l'analyse est directement liée à l'évolution de la façon dont on démontre le [[théorème des accroissements finis]]. [[Joseph-Louis Lagrange]]<ref>J.-L. Lagrange, « [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86263h/f62.image.r=.langFR Théorie des fonctions analytiques] contenant les principes du calcul différentiel, dégagés de toute considération d'infiniment petits ou d'évanouissants, de limites ou de fluxions et réduits à l'analyse algébrique des quantités finies », ''[[Journal de l'École polytechnique]]'', {{9e|cahier}}, t. III, 1797, §52, {{p.|49}}.</ref> et [[Augustin Louis Cauchy]]<ref>A. L. Cauchy, ''[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62404287/f41.image Résumé des leçons données à l'École royale polytechnique sur le calcul infinitésimal]'', t. I, Paris, 1823, {{p.|28}}.</ref> démontrent ce théorème en montrant l'[[inégalité des accroissements finis]], puis en appliquant le [[théorème des valeurs intermédiaires]] à la dérivée pour obtenir une égalité. Ils supposent pour cela que la dérivée est continue. Un changement important a lieu en 1868 avec le ''Cours de calcul différentiel et intégral'' de [[Joseph-Alfred Serret]]. Sur une idée de [[Pierre-Ossian Bonnet]], ce cours adopte la présentation moderne : ramener le théorème des accroissements finis au cas où la fonction s'annule aux bornes de l'intervalle et tirer parti du fait qu'une telle fonction admet un extremum<ref>Cette propriété, longtemps considérée comme évidente, reçoit une démonstration au sens moderne par [[Karl Weierstrass]] en 1861. cf E. Hairer et G. Wanner, ''Analysis by its history'', Springer-Verlag (1996)</ref> à l'intérieur de l'intervalle où la dérivée s'annule<ref>J.-A. Serret, ''[http://reader.digitale-sammlungen.de/de/fs1/object/goToPage/bsb10082819.html?pageNo=35 Cours de calcul différentiel et intégral]'', Gauthier-Villars 1868, {{p.|19}}.</ref>. Cette démarche nouvelle ne manquera pas d'être remarquée, notamment par [[Gaston Darboux]] en 1874<ref>« Lettre du 19 janvier 1874 de Darboux à Houël », in Hélène Gispert-Chambaz, ''[http://www.maths.ed.ac.uk/~aar/jordan/gispert.pdf Camille Jordan et les fondements de l'analyse]'', Publications mathématiques d'Orsay, [[Université de Paris-Sud]], 1982, {{p.|151}}.</ref>{{,}}<ref>G. Darboux, « [http://archive.numdam.org/article/ASENS_1875_2_4__57_0.pdf Mémoire sur les fonctions discontinues] », ''[[Annales scientifiques de l'École normale supérieure]]'', {{2e|série}}, t. 4, 1875, {{p.|111}}.</ref> qui s'intéresse alors aux [[Théorème de Darboux (analyse)|fonctions dérivables à dérivée non continue]]. L'intérêt de la démonstration de Bonnet est en effet d'être à la fois plus simple que les démonstrations de Lagrange ou Cauchy, mais aussi plus générale, la continuité de la dérivée n'étant pas nécessaire. Cependant, dans l'ouvrage de Serret, le lien avec le théorème algébrique de Rolle n'est pas encore affirmé. Ce lien apparaîtra dans les ouvrages de mathématiques qui suivront, et peu d'années après, la démarche de Bonnet est définitivement adoptée, le nom de Rolle étant alors également attribué au lemme permettant de prouver l'égalité des accroissements finis<ref>[[Charles de Comberousse]], ''[https://archive.org/stream/coursdemathmati02combgoog#page/n554/mode/2up Cours de mathématiques], à l'usage des candidats à l'[[École polytechnique (France)|École polytechnique]], à l'[[École normale supérieure (Paris)|École normale supérieure]], à l'[[École centrale des arts et manufactures]]'', t. 3, {{2e|édition}}, Gauthier-Villars, Paris, 1887, p. 526, §633. Comberousse reprend mot à mot la démonstration de Bonnet, mais précise : « Cette proposition n'est autre chose que le théorème de Rolle [...]. On remarquera que la démonstration précédente ne suppose pas la continuité de la dérivée f'(x), mais seulement que, pour chaque valeur de x comprise dans l'intervalle, elle a une valeur unique et déterminée ». Comberousse en déduit ensuite le théorème des accroissements finis. Dans le [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65309396/f440.image t. 4, p. 141, §1238], Comberousse utilise également le théorème de Rolle pour séparer les racines d'une équation.</ref>{{,}}<ref>Par contre, si [[Paul Tannery]] adopte la démonstration moderne du théorème de Rolle et du théorème des accroissements dans son cours de 1886 [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99592v/f248.image ''Introduction à la théorie des fonctions d'une variable''], il ne cite pas le nom de Rolle.</ref>.

== Notes et références ==
{{Références|colonnes=2}}

== Voir aussi ==
{{Autres projets|commons=Category:Rolle's theorem|v=Fonctions d'une variable réelle/Dérivabilité#Théorèmes sur la dérivation|wikiversity titre=Théorèmes sur la dérivation}}
Ce théorème, relativement intuitif, a servi de base à un [https://xkcd.com/2042/ dessin comique].{{portail|analyse}}

{{DEFAULTSORT:Theoreme Rolle}}
[[Catégorie:Analyse réelle]]
[[Catégorie:Théorème d'analyse|Rolle]]
[[Catégorie:Lemme de mathématiques|Rolle]]
[[Catégorie:Article contenant une démonstration]]