Voir la source de YBC 7289

[[Fichier:YBC-7289-OBV-REV.jpg|thumb|La tablette YBC 7289]]
La '''[[tablette d'argile]] YBC 7289''' (abréviation de ''Yale Babylonian Collection, {{numéro}}7289'')  est une pièce [[archéologie|archéologique]] de la [[période paléo-babylonienne]] écrite en [[cunéiforme]] et traitant de [[mathématiques]]. Son intérêt réside dans le fait qu'elle est la plus ancienne représentation connue d'une [[valeur approchée]] de la [[racine carrée de deux]], notée aujourd'hui √2. Depuis [[1912]], elle est en la possession de l'[[université Yale]].

== Description ==
[[Fichier:Ybc7289-bw.jpg|thumb|La tablette YBC 7289 avec des annotations traduisant les nombres écrits dans le système babylonien.]] 
Cette tablette a la forme d'un disque d'environ {{Unité|8|cm}} de diamètre et {{Unité|8|mm}} d'épaisseur.

Une face  représente un carré et ses diagonales. Elle comporte les inscriptions suivantes en [[numération babylonienne]]{{sfn|Rittaud|2006|p=24}} :

{| class="wikitable centre" style="text-align:center"
|-
! scope=col | Inscriptions babyloniennes
! scope=col | Valeurs décimales
! scope=col | Position
|-
| {{Nombre babylonien|30}}
| 30
| côté du carré
|-
| {{Nombre babylonien|1}} &nbsp; {{Nombre babylonien|24}} &nbsp; {{Nombre babylonien|51}} &nbsp; {{Nombre babylonien|10|width=25px}}
| 1 24 51 10
| le long d'une diagonale
|-
| {{Nombre babylonien|42}} &nbsp; {{Nombre babylonien|25}} &nbsp; {{Nombre babylonien|35}}
| 42 25 35
| sous cette diagonale
|}

Au revers, on distingue les traces grandement effacées d'un problème qui semble concerner un rectangle de dimension 3 &times; 4 et diagonale 5<ref>[[Eleanor Robson]], «Mesopotamian mathematics», in [[Victor J. Katz]], ''The mathematics of Egypt, Mesopotamia, China, India, and Islam, A sourcebook'', Princeton University Press, 2007, p. 143</ref>.

Les suites de nombres basées sur un [[système sexagésimal]] peuvent se traduire en [[système décimal]] de la manière suivante{{sfn|Rittaud|2006|p=24-26}} :
* <math>\mathbf{1} + \frac{\mathbf{24}}{60} + \frac{\mathbf{51}}{60^2} + \frac{\mathbf{10}}{60^3} = \frac{305\,470}{216\,000} \ (\approx 1{,}414\,212\,96)</math>
* <math>\mathbf{42} + \frac{\mathbf{25}}{60} + \frac{\mathbf{35}}{60^2} = \frac{152\,735}{3600} \approx 30 \sqrt{2} \ (\approx 42{,}426\,388\,9)</math>

==Histoire==
La tablette YBC 7289 a probablement été écrite par un scribe babylonien de la première dynastie, ce qui la situe entre 1900 et 1600 av. J.-C.{{sfn|Rittaud|2006|p=23}}. La forme et les dimensions de la tablette laissent supposer qu'elle a été écrite, dans le sud de l'[[Irak]] actuel, par un apprenti scribe utilisant des valeurs connues issues d'une liste<ref>{{harvsp|Fowler|Robson|1998|p=366}}</ref>. De telles tablettes, rondes et petites (entre 8 et {{Unité|12|cm}} en général) tenaient aisément dans la main.

Elle a été achetée vers [[1912]] et publiée pour la première fois en [[1945]]. Elle est actuellement conservée à l'[[université Yale]].

Il s'agit de l'un des premiers objets mathématiques connu, et de l'une des plus anciennes traces d'une pensée scientifique{{sfn|Rittaud|2006|p=23}}.

== Analyse ==
[[Fichier:YBC 7289 sketch.svg|thumb|Schéma de la tablette ''YBC 7289''.]]
Les trois nombres inscrits sur la tablette sont liés par la relation : <math>30 \times 1{,}414\,212\,96 \approx 42{,}426\,388\,9</math>. Ce qui peut se traduire par : la longueur de la diagonale d'un carré de côté 30 s'obtient en multipliant 30 par {{nombre|1.41421296}}, énoncé général, même s'il est donné dans un cas particulier{{sfn|Rittaud|2006|p=26}}.

La précision de cette valeur de la racine carrée de 2 est exceptionnelle, puisque proche du millionième. Les évaluations antérieures donnaient la suite « 1 ; 25 », ce qui représente environ 1,4167 (précision au millième){{sfn|Rittaud|2006|p=27}}. Cette précision n'a peut-être été dépassée que {{unité|2500|ans}} plus tard, par l'Indien Govindashwamin ; le plus étonnant est que la valeur calculée au millième est largement suffisante pour toutes les applications pratiques (comme par exemple l'architecture){{sfn|Rittaud|2006|p=28}}.

La tablette [[YBC 7243]], qui donne des listes de nombres, contient, dans sa dixième ligne<ref>{{harvsp|Fowler|Robson|1998|p=370}}.</ref> :
: {{citation|1 24 51 10, la diagonale du carré}}
sous-entendu : il faut multiplier le côté du carré par 1 24 51 10 pour obtenir sa diagonale. La tablette YBC 7289 consistait peut-être à calculer la diagonale d'un carré de côté 30 à partir d'une liste semblable à celle de YBC 7243.

===Pourquoi 30 ?===
Le [[système de numération]] babylonien ne permet pas de noter la valeur exacte d'un nombre, mais seulement celle-ci à un exposant 60 près<ref>Cela ressemble à la notation de nos [[calculatrice]]s contemporaines avec [[mantisse]] et [[Exposant (mathématiques)|exposant]]. Les Babyloniens ne retenaient que la mantisse à condition qu'elle ne se termine pas par un zéro et ne notaient pas l'exposant. En fait, vue d'un œil moderne, nous dirions que les Babyloniens calculaient en [[virgule flottante]].</ref>. Ainsi {{Nombre babylonien|30}} peut-il signifier 30 comme 30×60, 30×60² ou 30/60, c'est-à-dire 1/2, etc.

Une hypothèse à première vue moins arbitraire<ref name=FR368>{{harvsp|Fowler|Robson|1998|p=368}}, c'est ainsi par exemple que {{Lien|trad=Jöran Friberg|lang=de}} présente la tablette.</ref> est que  « 30 » représente le nombre 1/2. Le nombre {{Nombre babylonien|42|25|35|width=12px}} représenterait alors √2/2, soit 1/√2. Ainsi, la tablette donnerait, en valeurs approchées, un couple de ''nombres réciproques'' correspondant  aux deux nombres [[inverse]]s l'un de l'autre : √2 et √2/2. Cette hypothèse est confortée par le fait que des couples de nombres réciproques apparaissent souvent dans les tablettes mathématiques babyloniennes : les scribes, plutôt que de [[division|diviser]], multipliaient par l'inverse et de nombreuses tablettes contenant des listes de couples de nombres réciproques ont été retrouvées<ref name=FR368/>.

Mais [[David Fowler]] et [[Eleanor Robson]] voient plutôt dans cette tablette le calcul d'un élève sur la diagonale d'un carré de côté 30 ninda (un ninda vaut environ {{unité|6|mètres}}{{sfn|Fowler|Robson|1998|p=369 note 8}}), le 30 provenant cette fois du fait que le carré étudié serait un carré ''classique'', intervenant dans de nombreux problèmes, inscrit dans un carré de côté 1 UŠ, c'est-à-dire 60 ninda. Le premier nombre sur la diagonale serait alors un coefficient multiplicateur (approximation de √2) recopié à partir d'une table et le second une longueur exprimée en ninda{{sfn|Fowler|Robson|1998|p=369-370}}.

==Calcul==
La tablette ne donne aucune indication à propos de la méthode utilisée pour obtenir cette approximation. Une hypothèse est que celle-ci a été obtenue par une méthode itérative mathématiquement équivalente à celle connue plus tard sous le nom de [[méthode de Héron]]. Fowler et Robson ont proposé une reconstitution<ref>{{harvsp|Fowler|Robson|1998|p=370-376}}.</ref> s'appuyant d'une part sur certaines procédures calculatoires décrites dans d'autres tablettes, d'autre part sur des justifications géométriques par « coupé-collé » d'aires dont, à la suite des travaux de [[Jens Hoyrup]], beaucoup d'historiens pensent qu'elles sous-tendent les calculs des mathématiques de l'époque<ref>Christiane Proust, présentation du livre de Høyrup, 2002 ''Lenghts, Widths, Surfaces. A portrait of Old Babylonian algebra and its kin'', [http://educmath.ens-lyon.fr/Educmath/ressources/lecture/repertoire/hoyrup/ en ligne sur le site educmath].</ref>. 

Traduite algébriquement la procédure décrite par Fowler et Robson s'appuie sur le fait que si {{var|a}} est une approximation de {{math|√''N''}}, alors  {{math|''a''+1/2(''N'' − ''a''<sup>2</sup>)/''a''}} en est une meilleure<ref>Ceci se justifie géométriquement par les méthodes supposées connues à l'époque, et correspond à des procédures mises en œuvre sur d'autres tablettes, voir {{harvsp|Fowler|Robson|1998|p=370-374}}.</ref>. Si on part de l'approximation {{math|3/2}} pour √2, on aboutit ainsi à l'assez bonne approximation {{math|17/12}}, {{math|1;25}} en sexagésimal, qui est aussi présente dans les tablettes paléo-babyloniennes{{sfn|Fowler|Robson 1998|p=374}}. 

Il n'existe pas de témoignage d'une [[itération]] de ce processus{{sfn|Fowler|Robson|1998|p=376}}. Pour le calcul de la division les [[mathématiques mésopotamiennes]] procèdent par multiplication par l'inverse, à l'aide de ''tables de réciproques''. Pour la seconde itération se pose le problème de la division par {{math|17/12}} qui n'est pas ''régulier'' : son inverse n'a pas d'écriture finie en base 60{{sfn|Fowler|Robson|1998|p=374}}. Une possibilité est d'utiliser une approximation de l'inverse à quatre places sexagésimales, et cela conduit, au prix d'une approximation supplémentaire, à la valeur de la tablette YBC 7289{{sfn|Fowler|Robson|1998|p=374-375}}{{,}}<ref>On connaît cependant peu de tables de réciproques approchées de nombres irréguliers et celles-ci ne contiennent pas la réciproque correspondant à l'inverse de  {{math|1;25}}, voir {{harvsp|Fowler|Robson|1998|p=375}}.</ref>.

Par ailleurs la procédure, bien que mathématiquement équivalente à la méthode de Héron ({{math|''a'' ↦ 1/2(''a'' +''N''/''a'')}}), est plus pénible sur le plan calculatoire{{sfn|Fowler|Robson|1998|p=376}}.

== Notes et références ==
{{Références|colonnes=2}}

== Bibliographie ==
* {{MacTutor|class=history|id=HistTopics/Babylonian_Pythagoras|title=Pythagoras's theorem in Babylonian mathematics|année=2000}}
* {{Article|langue=en|auteur1=[[David Fowler]] |auteur2=[[Eleanor Robson]] |doi=10.1006/hmat.1998.2209 |titre=Square Root Approximations in Old Babylonian Mathematics |sous-titre=YBC 7289 in Context |revue=[[Historia Mathematica]] |volume=25 |année=1998 |pages=366-378}} {{plume}} {{commentaire biblio|Étude complète de la tablette, mise en contexte historique et explications probables des méthodes utilisées à l'époque pour obtenir la valeur approchée de √2 utilisée dans YBC 7289.}}
* {{Ouvrage |langue=fr |auteur1=Benoît Rittaud |titre=Le fabuleux destin de √2 |lieu=Paris |éditeur=[[Le Pommier]] |année=2006 |pages totales=451 |isbn=2-7465-0275-5|url={{Google Livres|6iyWDgAAQBAJ|page=24}}}} {{plume}}

== Voir aussi ==
{{Autres projets
|commons=Category:YBC 7289
|commons titre=Tablette d'argile YBC 7289
}}
=== Liens externes ===
* [http://bibnum.education.fr/mathematiques/tablette-ybc-7289# Une analyse de la tablette YBC7289] sur le site [[Bibnum]] (textes fondateurs de la science)
* {{en}} [http://www.math.ubc.ca/~cass/Euclid/ybc/ybc.html Photos de YBC 7289] de Bill Casselman (des photos de bonne qualité)

{{Portail|mathématiques|archéologie|Proche-Orient ancien|Mésopotamie}}

[[Catégorie:Mathématiques en Mésopotamie|YBC 7289, tablette]]
[[Catégorie:Tablette d'argile|YBC 7289, tablette]]
[[Catégorie:Cunéiforme|YBC 7289, tablette]]
[[Catégorie:Histoire de la géométrie]]