Tenseur des déformations

En mécanique des milieux continus, le tenseur des déformations est un tenseur symétrique d'ordre 2 servant à décrire l'état de déformation local par rapport à une situation antérieure.

Lorsque ce tenseur est défini en tout point d'un solide (champ tensoriel), il décrit entièrement son état de déformation (champ de déformation).

Dans le cadre de l'élasticité linéaire, le tenseur des déformations est relié au tenseur des contraintes par la loi de Hooke généralisée.

Définition de l'opérateur des déformations

Le tenseur des déformations vise à caractériser en un point la variation de longueur d'un segment à la suite de la transformation subie par le milieu. La déformation du milieu peut être décrite par la fonction (supposée suffisamment régulière) qui, à un point A du milieu, associe son transformé A' :

$\overrightarrow{O{A}^{\prime }}=\mathrm{\Phi }(A,t)$

Soit un segment AB qui se transforme en A' B'. Le tenseur des déformations permet de quantifier $\Vert \overrightarrow{A^{\prime }{B}^{\prime }}{\Vert }^2-\Vert \overrightarrow{AB}{\Vert }^2$. On a en effet :

$\overrightarrow{O{A}^{\prime }}=\mathrm{\Phi }(A,t)$

On peut donc écrire :

$\overrightarrow{O{B}^{\prime }}=\overrightarrow{O{A}^{\prime }}+F\cdot \overrightarrow{AB}+o(\Vert \overrightarrow{AB}\Vert )$

où

$F=\mathrm{g}\mathrm{r}\mathrm{a}\mathrm{d}(\mathrm{\Phi })=\frac{\partial \mathrm{\Phi }}{\partial A}$

est le gradient de la transformation $\mathrm{\Phi }$. D'où :

$\overrightarrow{A^{\prime }{B}^{\prime }}=F\cdot \overrightarrow{AB}+o(\Vert \overrightarrow{AB}\Vert )$

On obtient donc, au premier ordre :

$\Vert \overrightarrow{A^{\prime }{B}^{\prime }}{\Vert }^2-\Vert \overrightarrow{AB}{\Vert }^2=\stackrel{T}{\overrightarrow{AB}}(F^T\cdot F-\mathrm{I}\mathrm{d})\overrightarrow{AB}$

On pose :

$E=\frac{1}{2}(F^T\cdot F-\mathrm{I}\mathrm{d})$

$E$ est l'opérateur des déformations de Green-Lagrange. Il s'agit d'un tenseur symétrique réel, donc diagonalisable dans une base orthonormée. Les directions propres sont appelées directions principales de déformation. Le domaine des petites déformations est celui où la longueur des segments varie peu lors de la transformation, ce qui correspond à $\Vert E\Vert \ll 1$.

Si on introduit le vecteur déplacement

$u(A,t)=\overrightarrow{A{A}^{\prime }}=\mathrm{\Phi }(A,t)-\overrightarrow{OA}$

on obtient :

$F=\mathrm{I}\mathrm{d}+\frac{\partial u}{\partial A}$

en notant $\frac{\partial u}{\partial A}$ la dérivée partielle de $u$ et donc :

$E=\frac{1}{2}(\frac{\partial u}{\partial A}+{\frac{\partial u}{\partial A}}^T+{\frac{\partial u}{\partial A}}^T\cdot \frac{\partial u}{\partial A})$

Cas des transformations infinitésimales

Tenseur des déformations linéarisées

Dans le cas d'une transformation infinitésimale ($\Vert \mathrm{\nabla }u\Vert \ll 1$), on néglige les termes du second ordre et on obtient le tenseur des déformations linéarisé :

$\epsilon =\frac{1}{2}(\frac{\partial u}{\partial A}+{\frac{\partial u}{\partial A}}^T)$

Sous forme de composantes dans une base orthonormée :

${\epsilon }_{ij}=\frac{1}{2}(\frac{\partial u_i}{\partial x_j}+\frac{\partial u_j}{\partial x_i})$

Une transformation infinitésimale est une petite déformation, mais la réciproque n'est pas vraie. Par exemple, une rotation pure ne présente aucune déformation ($E=0$) mais n'est pas infinitésimale.

Interprétation des termes diagonaux

Allongement du segment par déformation linéaire.

Les termes diagonaux ${\epsilon }_{ii}$ sont les allongements relatifs dans la direction i (selon l'axe x_i). Prenons le cas d'un segment [AB], parallèle à l'axe x₁, et intéressons-nous à la partie de la déformation également parallèle à x₁, que nous noterons [A'B' ].

L'allongement relatif vaut (exprimée en distances algébriques) :

$\frac{\overline{A^{\prime }{B}^{\prime }}-\overline{AB}}{\overline{AB}}$

Sachant que

$\overline{A{A}^{\prime }}=u_1(A)$ et $\overline{B{B}^{\prime }}=u_1(B)$

où $u_1$ est la composante de $u$ selon l'axe x₁, cet allongement vaut :

$\frac{\overline{A^{\prime }A}+\overline{AB}+\overline{B{B}^{\prime }}}{\overline{AB}}-1=\frac{u_1(B)-u_1(A)+\overline{AB}}{\overline{AB}}-1=\frac{u_1(B)-u_1(A)}{\overline{AB}}$

On reconnaît un taux d'accroissement de la fonction $u_1$, et si l'on se place en petites déformations, on peut remplacer ce taux d'accroissement par la dérivée de $u_1$, ce qui donne :

$\frac{\overline{A^{\prime }{B}^{\prime }}-\overline{AB}}{\overline{AB}}\simeq \frac{\partial u_1}{\partial x_1}={\epsilon }_{11}$

De manière plus générale :

${\epsilon }_{ii}=\frac{\partial u_i}{\partial x_i}=\frac{1}{2}(\frac{\partial u_i}{\partial x_i}+\frac{\partial u_i}{\partial x_i})$

Coefficients dus au cisaillement

Effet de déplacement par le cisaillement.

Les autres termes ${\epsilon }_{ij}$ (i ≠ j) sont les $\gamma$, demi-variations de l'angle droit d'un petit volume de matière cubique avant déformation.

En effet, un carré ABCD, où [AB] est parallèle à x₁ et [AD] est parallèle à x₂, se transforme en un losange AB'C'D' , symétrique selon la première bissectrice du plan.

La tangente de l'angle $\gamma$ vaut :

$\tan (\gamma )=\frac{\overline{B{B}^{\prime }}}{\overline{AB}}$.

Pour les petites déformations, on a

$\tan (\gamma )\simeq \gamma$

ainsi que

$\overline{B{B}^{\prime }}=u_2(B)\simeq u_2(A)+\frac{\partial u_2}{\partial x_1}\cdot \overline{AB}$

avec u₂(A) = 0. Ainsi,

$\gamma \simeq \frac{\partial u_2}{\partial x_1}$

Si l'on considère maintenant le segment [AD] :

$\gamma \simeq \frac{\partial u_1}{\partial x_2}$

Une rotation n'étant pas une déformation, on peut supposer que les deux angles $\gamma$ sont égaux, quitte à faire pivoter le losange et ainsi

$\gamma =(\frac{\partial u_1}{\partial x_2}+\frac{\partial u_2}{\partial x_1})=2{\epsilon }_{12}$

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Note : dans l'article Déformation élastique, l'angle $\gamma$ défini vaut le double de l'angle défini ici.

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Variation relative de volume

Variation de volume réelle (haut) et approchée (bas) : le dessin en vert montre le volume estimé et le dessin en orange le volume négligé

Considérons un prisme élémentaire engendré par trois vecteurs $(e_{10},e_{20},e_{30})$. Sa transformée par $\mathrm{\Phi }$ est le prisme engendré par $(e_1,e_2,e_3)$.

Soit V₀ celui du prisme initial et V le volume de la transformée.

On a, au premier ordre :

$V=(e_1\wedge e_2)\cdot e_3=(F(e_{10})\wedge F(e_{20}))\cdot F(e_{30})=\det (F)(e_{10}\wedge e_{20})\cdot e_{30}=\det (F)V_0$

La variation relative de volume est $\frac{V-V_0}{V_0}=\frac{\mathrm{\Delta }V}{V_0}=\det (F)-1$

Dans le cas des petites déformations, $F=\mathrm{I}\mathrm{d}+\frac{\partial u}{\partial A}$ et det(F) - 1 est égal au premier ordre à la trace de $\frac{\partial u}{\partial A}$, qui est égale à la trace du tenseur $\epsilon$ : ${\epsilon }_{11}+{\epsilon }_{22}+{\epsilon }_{33}$

On peut retrouver ce résultat en se plaçant dans la base des directions principales de déformation. Considérons un cube d'arête a. Après déformation on a un quasi-parallélépipède de volume :

$V=a\cdot (1+{\epsilon }_{11})\times a\cdot (1+{\epsilon }_{22})\times a\cdot (1+{\epsilon }_{33})$

alors que :

$V_0=a^3$

ce qui donne :

$\frac{\mathrm{\Delta }V}{V_0}=\frac{(1+{\epsilon }_{11}+{\epsilon }_{22}+{\epsilon }_{33}+{\epsilon }_{11}\cdot {\epsilon }_{22}+{\epsilon }_{11}\cdot {\epsilon }_{33}+{\epsilon }_{22}\cdot {\epsilon }_{33}+{\epsilon }_{11}\cdot {\epsilon }_{22}\cdot {\epsilon }_{33})\cdot a^3-a^3}{a^3}$

comme on est en très faible déformation,

1 >> ε_ii >> ε_ii·ε_jj >> ε₁₁·ε₂₂·ε₃₃

d'où le résultat.

On dit qu'il y a cisaillement pur lorsque la trace est nulle, autrement dit lorsqu'il n'y a pas de variation de volume.

Une déformation est dite incompressible si elle s'effectue sans variation de volume en tout point du corps. En particulier, les déformations plastiques s'effectuent sans variation de volume.

Déformations principales

Il existe une base orthonormée $({\overrightarrow{x}}_{\mathrm{I}},{\overrightarrow{x}}_{\mathrm{I}\mathrm{I}},{\overrightarrow{x}}_{\mathrm{I}\mathrm{I}\mathrm{I}})$ telle que le tenseur des contraintes est une matrice diagonale (voir Matrice symétrique > Décomposition spectrale) :

$\mathrm{E}=\left(\begin{array}{ccc}{\epsilon }_{\mathrm{I}}& 0& 0\\ 0& {\epsilon }_{\mathrm{I}\mathrm{I}}& 0\\ 0& 0& {\epsilon }_{\mathrm{I}\mathrm{I}\mathrm{I}}\end{array}\right)$.

Les directions $({\overrightarrow{x}}_{\mathrm{I}},{\overrightarrow{x}}_{\mathrm{I}\mathrm{I}},{\overrightarrow{x}}_{\mathrm{I}\mathrm{I}\mathrm{I}})$ sont appelées directions principales, et les déformations ε_I, ε_II et ε_III sont les déformations principales.

Les déformations principales sont les valeurs propres du tenseur, et les directions propres, ses vecteurs propres. Les valeurs propres $\lambda$ vérifient l'équation

$\mathrm{d}\mathrm{e}\mathrm{t}(E-\lambda I)=0$

où $I$ est la matrice identité ; les déformations principales sont donc les solutions en $\lambda$ de cette équation.

Rappelons que la trace est invariante par changement de base (voir Matrices semblables), donc

${\epsilon }_{11}+{\epsilon }_{22}+{\epsilon }_{33}={\epsilon }_{\mathrm{I}}+{\epsilon }_{\mathrm{I}\mathrm{I}}+{\epsilon }_{\mathrm{I}\mathrm{I}\mathrm{I}}$

et ainsi en petites déformations, la variation relative de volume vaut

$\frac{\mathrm{\Delta }\mathrm{V}}{{\mathrm{V}}_0}={\epsilon }_{\mathrm{I}}+{\epsilon }_{\mathrm{I}\mathrm{I}}+{\epsilon }_{\mathrm{I}\mathrm{I}\mathrm{I}}$

Contrairement aux contraintes principales, la notion de déformation principale est assez peu utilisée pour le calcul. Elle permet par contre d'exprimer de manière simple l'énergie élastique, et est utile pour dépouiller les résultats d'extensométrie. Par ailleurs, les directions principales sont les mêmes pour le tenseur des déformations et pour le tenseur des contraintes.

Invariants du tenseur des déformations

On définit trois invariants du tenseur, c'est-à-dire trois valeurs qui sont indépendantes de la base :

• $I_1=\mathrm{T}\mathrm{r}(\mathrm{E})={\epsilon }_{11}+{\epsilon }_{22}+{\epsilon }_{33}=\sum _i{\epsilon }_{ii}$

soit, avec la convention de sommation d'Einstein : $I_1={\epsilon }_{ii}$ ;

• $I_2={\epsilon }_{11}{\epsilon }_{22}+{\epsilon }_{22}{\epsilon }_{33}+{\epsilon }_{33}{\epsilon }_{11}-{\epsilon }_{12}^2-{\epsilon }_{23}^2-{\epsilon }_{31}^2=\frac{1}{2}\sum _i\sum _j({\epsilon }_{ii}{\epsilon }_{jj}-{\epsilon }_{ij}{\epsilon }_{ij})$

ou encore $I_2=\frac{1}{2}({\epsilon }_{ii}{\epsilon }_{jj}-{\epsilon }_{ij}{\epsilon }_{ij})$ ;

• $I_3=\mathrm{d}\mathrm{e}\mathrm{t}(\mathrm{E})$

ou encore $I_3=e_{ijk}{\epsilon }_{1i}{\epsilon }_{2j}{\epsilon }_{3k}$ où e_ijk est le symbole de Levi-Civita (ou symbole de Ricci). Avec les déformations principales, cela devient :

• $I_1={\epsilon }_I+{\epsilon }_{II}+{\epsilon }_{III}$ ;
• $I_2={\epsilon }_I{\epsilon }_{II}+{\epsilon }_{II}{\epsilon }_{III}+{\epsilon }_{III}{\epsilon }_I$ ;
• $I_3={\epsilon }_I{\epsilon }_{II}{\epsilon }_{III}$.

Tenseur isotrope et déviateur

On peut exprimer le tenseur des déformations sous la forme d'un tenseur isotrope E' et d'un déviateur E'' :

$\mathrm{E}={\mathrm{E}}^{\prime }+{\mathrm{E}}^{″}$

avec le tenseur isotrope, également appelé partie sphérique

${\mathrm{E}}^{\prime }=\frac{1}{3}\mathrm{t}\mathrm{r}(\mathrm{E})\mathrm{I}$

où I est la matrice unité, et le déviateur de déformation

${\mathrm{E}}^{″}=\mathrm{d}\mathrm{e}\mathrm{v}(\mathrm{E})=\mathrm{E}-{\mathrm{E}}^{\prime }$.

On a, en utilisant la convention de sommation d'Einstein :

• $\epsilon {\text{'}}_{ij}=\frac{1}{3}\left(\sum _k{\epsilon }_{kk}\right){\delta }_{ij}=\frac{1}{3}{\epsilon }_{kk}{\delta }_{ij}$ ;
• ${\epsilon }^{\prime }{\text{'}}_{ij}={\epsilon }_{ij}-\frac{1}{3}\left(\sum _k{\epsilon }_{kk}\right){\delta }_{ij}={\epsilon }_{ij}-\frac{1}{3}{\epsilon }_{kk}{\delta }_{ij}$ ;

où δ_ij est le symbole de Kronecker.

Cette décomposition simplifie l'expression des énergies de déformation élastique de changement de volume et de distorsion.

Voir aussi

Articles connexes

• Tenseur des constantes élastiques (ou des rigidités)
• Tenseur des souplesses

Liens externes

• Modèle:Ouvrage (sur Gallica)
• tenseurs contrainte/déformation - loi de comportement élastique isotrope, orthotrope manuel de référence du logiciel de calcul de structure ICAB Force