Voir la source de Coupure de Dedekind

{{confusion|Règle de coupure}}
[[Fichier:Dedekind cut- square root of two.png|vignette|droite|upright=1.6|Dedekind introduit les coupures pour représenter les [[nombre irrationnel|nombres irrationnels]].]]

En [[mathématiques]], une '''coupure de Dedekind''' d'un [[ensemble totalement ordonné]] ''E'' est un couple (''A'', ''B'') de [[sous-ensemble]]s de ''E'', lesquels forment à eux deux une [[Partition (mathématiques)|partition]] de ''E'', et où tout élément de ''A'' est inférieur à tout élément de ''B''.

D'une certaine façon, une telle coupure conceptualise quelque chose qui se trouverait « entre » ''A'' et ''B'', mais qui ne serait pas forcément un élément de ''E''.

Les coupures de Dedekind furent introduites par [[Richard Dedekind]] comme moyen de [[Construction des nombres réels|construction]] de l'ensemble des [[Nombre réel|nombres réels]] (en présentant de manière formelle ce qui se trouve « entre » les [[Nombre rationnel|nombres rationnels]]).

==Motivations ==
Assez tôt, les mathématiciens prennent conscience que l'ensemble <math> \Q </math> des nombres rationnels, malgré son apparente densité, ne suffit pas pour exprimer l'ensemble des grandeurs géométriques ([[Racine carrée de deux#Grèce antique|l'irrationalité de <math>\sqrt 2</math>]] est connue des mathématiciens grecs et [[Preuve de l'irrationalité de π|celle de]] <math>\pi</math> est prouvée au {{s-|XVIII}}). Pour travailler sur ces irrationnels, ils cherchent un cadre mathématique rigoureux. Ils le trouvent d'abord, au début du {{s-|XIX|e}} en admettant l'existence d'un ensemble contenant <math> \Q</math> et vérifiant le critère de Cauchy<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Nicolas Bourbaki]]|titre=Éléments d'histoire des mathématiques|éditeur=Masson|année=1984|passage=192|isbn=2-225-80320-X}}</ref>  et en en donnant une définition axiomatique{{Sfn|Bourbaki|1984|p=194}} . Ce n'est donc que dans la seconde moitié du {{s-|XIX}} que se pose la question de l'existence de l'ensemble des réels et des méthodes pour le construire. Plusieurs propositions sont faites par [[Karl Weierstrass|Weierstrass]], [[Charles Méray|Meray]], Cantor et [[Richard Dedekind|Dedekind]]{{Sfn|Bourbaki|1984|p=194}} .
[[Fichier:Coupure de Dedekind.svg|alt=La droite réelle est coupée en son milieu par une paire de ciseaux|centré|vignette|627x627px|Restriction de la droite réelle à ses rationnels, coupée en un point]]


Dedekind, dans son ouvrage de 1872{{Sfn|Dedekind|1872}}, s'appuie sur une représentation géométrique : la représentation de la droite réelle et sa restriction à l'ensemble des rationnels. Il observe que l'ont peut ''couper'' cette droite en deux parties<ref>{{Lien web |auteur=Louis-Marie Bonneval |titre=La construction des nombres réels par Dedekind |url=https://www.apmep.fr/IMG/pdf/Dedekind.pdf |format=pdf |site=[[APMEP]] |consulté le=août 2024 |page=2}}</ref>.
* si la coupure se fait sur un rationnel <math> r</math>, le  découpage donne deux parties qui peuvent être  :
** <math>A=\{a\in \Q/ a < r\}</math> et <math>B=\{b\in \Q/ b \geq r\}</math>
** ou <math>A'=\{a\in \Q/ a \leq r\}</math> et <math>B'=\{b\in \Q/ b > r\}</math>
* si la coupure se fait sur un irrationnel <math>x</math>, le découpage donne deux parties qui sont <math>A=\{a\in \Q/ a < x\}</math> et <math>B=\{b\in \Q/ b > x\}</math>

Dans le premier cas, il associe le rationnel <math>r</math> aux coupures (A,B) et (A', B') qu'il considère comme seulement « légèrement différentes »<ref>« ''unwesentlich verschieden » -'' {{Référence Harvard sans parenthèses|Dedekind|2013|p=12}}  </ref> . Dans le second cas, il « crée » un nouveau nombre irrationnel représenté par la coupure (A,B)<ref>« E''rschaffen wir eine neue, eine irrationale Zahl a, welche wir als durch diesen Schnitt (Al , A2) vollständig definiert ansehen » -'' {{Référence Harvard sans parenthèses|Dedekind|2013|p=11}}</ref>

Pour ce faire, il lui faut s'éloigner de sa vision intuitive pour définir une coupure sans référence au nombre réel. Il définit donc une coupure comme une partition de <math>\Q</math> en deux ensembles A et B tels que tout élément <math> a</math> de <math> A</math> est inférieur à tout élément <math> b </math> de <math>B</math>.

== Vocabulaire  ==
Une '''coupure de Dedekind''' d’un [[ensemble totalement ordonné]] ''E'' se définit par un couple (''A'', ''B'') de sous-ensembles de ''E'' tels que{{Sfn|Lelong-Ferrand|Arnaudies|1977|p=35}} :
# ''A'' et ''B'' définissent une [[partition (mathématiques)|partition]] de E (les deux parties sont disjointes, non vides et leur union donne ''E'')
# Tout élément de ''A'' est strictement inférieur à tout élément de ''B'' ;

À partir d'une partie ''A'' non triviale de ''E'' (non vide, non égale à ''E''), on peut définir la partition <math>(A, \overline A)</math> où <math>\overline{A}</math> est le complémentaire de ''A'' dans ''E''. Pour qu'une partie non triviale de ''E'', associée à son complémentaire, définisse une coupure de E, il faut et il suffit qu'elle soit stable par minorant :{{retrait|<math>\forall a \in A, \forall x\in E, x<a\Rightarrow x\in A.</math>}}Un tel ensemble est appelée une section commençante. Une définition alternative d'une coupure est donc:

'''Caractérisation alternative :''' ''A'' définit une coupure de ''E'' si ''A'' est une  section commençante  non triviale de E.

'''Coupure propre'''<ref>{{Article|auteur1=Benjamin Delay|titre=Coupures propres dans *R|périodique=Annales mathématiques Blaise Pascal|volume=4|numéro=1|pages=19-25|date=1997|lire en ligne=https://ambp.centre-mersenne.org/article/AMBP_1997__4_1_19_0.pdf|format=pdf}}</ref>''' :''' Dans un [[groupe ordonné]] E, une coupure (A,B) est propre si : <math>\forall x \in E,\, x>0, \exist (a,b) \in A \times B / b-a=x</math>
{{retrait|Les coupures dans <math>\R</math>, <math> \Q </math>, <math>\Z</math> et, plus généralement, dans tout [[groupe archimédien]] sont propres. Ce n'est pas le cas, par exemple, dans <math>\R^2</math> muni de l'[[ordre lexicographique]], de la coupure <math>( A=\{(u,v)\in \R^2/u<0\}, B=\{(u,v)\in \R^2/u\geq 0\})</math>, pour <math>x=(0,1).</math>}}

'''Lacune ou trou'''{{Sfn|Delay|1997|p=119}}''' :''' Un [[corps commutatif]] ''K'' possède une «lacune» ou un «trou»  s'il existe une coupure propre (''A,B'') de ''K'' dans laquelle ''A'' ne possède pas de plus grand élément et ''B'' ne possède pas de plus petit élément.
{{retrait|L'ensemble <math>\Q</math> possède des lacunes alors que l'ensemble <math>\R</math> n'en possède pas<ref>{{ouvrage|auteur1=Jacqueline Lelong-Ferrand|auteur2=Jean-Marie Arnaudies|titre=Cours de mathématiques|sous-titre=Analyse|tome=2|année=1977|éditeur=Dunod|page=35}}</ref>.}}

'''Inextensibilité ou complétude''' : Un [[corps ordonné]] est complet (au sens de Dedekind),  Scott-complet{{Sfn|Delay|1997|p=119}} ou inextensible<ref>{{Lien web |auteur=Sophie Rousse |titre=Discret et continu au lycée. Enjeux de ces notions à travers l’étude de l’enseignement
de l’analyse et des probabilités |url=https://theses.hal.science/tel-02440444/document |site=Hal, open science |éditeur=Université Sorbonne Paris Cité, |date=2018 |page=7,31}}</ref> s'il ne possède pas de lacune, ou — ce qui revient au même — si, pour toute coupure (''A,B''), il existe un unique élément <math> x</math> dans ''K'' majorant A et minorant B
{{retrait|L'objectif de Dedekind, avec ses coupures, est de créer le corps des réels et de démontrer sa complétude, qui assurera que toute partie non vide majorée possède une borne supérieure et toute suite croissante majorée est convergente}}

== Cas des coupures dans les rationnels ==
{{Voir|Construction des nombres réels}}
=== Exemples ===

Si ''E'' est l'ensemble ℚ des [[Nombre rationnel|nombres rationnels]], on peut considérer la coupure suivante :
<center><math>A=\{a\in\Q\mid a^2<2\lor a\le 0 \},\quad B = \{ b\in\Q\mid b^2\ge 2\land b>0 \}.</math></center>

Cette coupure permet de représenter le nombre irrationnel {{sqrt|2}} qui est ici défini à la fois par l'ensemble des nombres rationnels qui lui sont inférieurs et par celui des nombres rationnels qui lui sont supérieurs.

De même, pour toute suite de rationnels <math> (u_n)_{n\in \N}</math>, croissante et majorée, le couple :
<center> <math>A=\bigcup_{n\in N} \{r \in \Q \mid r \leq u_n\} \quad \overline A=\{r \in \Q \mid r \notin A\} </math></center>
définit une coupure capable de représenter <math>\lim_{n \to \infty} u_n.</math>

=== Définitions alternatives ===
La définition originelle de Dedekind conduit à avoir deux représentants d'un même rationnel par des coupures. Pour éviter ce problème, les définitions modernes des coupures de Dedekind dans <math>Q</math> privilégient l'unicité de la représentation en imposant une condition supplémentaire : 

'''Définition alternative :''' Dans l'ensemble des rationnels, une  coupure de Dedekind se définit par un couple (''A'', ''B'') de sous-ensembles de  <math>\Q</math> tels que<ref>{{Lien web |auteur=Thomas Seller |titre=Théorie des Ensembles L3 |url=https://www.ihes.fr/~seiller/documents/thens.pdf |site=ihes.fr |date=2010 |consulté le=août 2024 |page=35-36}}</ref> :
# ''A'' et ''B'' définissent une [[partition (mathématiques)|partition]] de E (les deux parties sont disjointes, non vides et leur union donne ''E'')
# Tout élément de ''A'' est strictement inférieur à tout élément de ''B'' ;
# La partie ''A'' ne possède pas de plus grand élément.

La prise en compte de toutes les coupures de Dedekind sur ℚ de ce type permet une construction de l'ensemble ℝ des [[Nombre réel|nombres réels]].

Une reformulation de cette construction est de ne conserver que la composante ''A'' des couples (''A'', ''B'') ci-dessus, c'est-à-dire d'appeler « coupures de Dedekind » toutes les [[Inclusion (mathématiques)#Inclusion au sens strict|parties propres]] non vides de ℚ, [[Section commençante|stables par minorant]] et ne possédant pas de [[plus grand élément]]. Un réel {{math|''x''}} est alors représenté par l'ensemble ''A'' de tous les rationnels strictement inférieurs à {{math|''x''}}<ref>{{Ouvrage|lang=en|auteur=Herbert B. Enderton|titre=Elements of Set Theory|éditeur=[[Elsevier (éditeur)|Elsevier]]|année=1977|url={{Google Livres|JlR-Ehk35XkC|page=112}}|page=112-120}}{{Commentaire biblio SRL|Un manuel de premier cycle universitaire en théorie des ensembles, qui ne « préjuge d'aucune formation ». Il est écrit pour accompagner un cours centré sur la théorie axiomatique des ensembles, ou sur la construction des systèmes numériques ; le matériel axiomatique est marqué afin de pouvoir être démystifié (p. xi-xii).}}.</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|lang=en|auteur=[[Walter Rudin]]|titre=Principles of Mathematical Analysis|numéro d'édition=3|éditeur=[[McGraw-Hill Education|McGraw-Hill]]|année=1976|année première édition=1953|url=https://notendur.hi.is/vae11/%C3%9Eekking/principles_of_mathematical_analysis_walter_rudin.pdf|page=17-21}}{{Commentaire biblio SRL|Manuel pour un cours de second cycle universitaire avancé. « L'expérience m'a convaincu qu'il est pédagogiquement malavisé (bien que correct logiquement) de démarrer la construction des réels à partir des rationnels. Au début, la plupart des étudiants ne voient tout simplement pas pourquoi le faire. Donc on introduit le système des réels comme un corps ordonné satisfaisant la propriété de la borne supérieure, et on en montre rapidement quelques propriétés. Cependant la construction de Dedekind n'est pas omise. Elle est mise en appendice du chapitre 1, où elle peut être étudiée et appréciée quand le temps en est venu. » (p. ix).}}.</ref>.

== Ordre sur les coupures de Dedekind ==
On définit un [[Relation d'ordre|ordre]] sur l'ensemble des coupures de Dedekind de ''E'' en posant, pour toutes coupures de Dedekind (''A'', ''B'') et (''C'', ''D'') de ''E'' :
<center><math>(A,B)\le(C,D) \Leftrightarrow A\subset C. </math></center>

Il est possible de montrer que l'ensemble des coupures de Dedekind de ''E'' muni de cet ordre possède la propriété de la [[borne supérieure]]{{refnec}}, même si ''E'' ne la possède pas. En prolongeant ''E'' dans cet ensemble, on le prolonge en un ensemble dont toute partie non vide et majorée possède une borne supérieure.
 {{Démonstration|<!---A supprimer dès qu'une ref consultable sera ajoutée -->
Soit <math>E_c</math> l'ensemble des coupures de <math>E</math> et <math> X</math> une partie de <math>E_c</math> non vide et majorée La coupure <math>(M,N)</math> est un majorant de <math>X</math> si et seulement si
{{retrait|<math>\forall (A,B) \in X, \, A\subset M</math>}}
On considère la partie <math>C=\bigcup_{(A,B)\in X} A</math> et <math>\overline C</math> sa partie complémentaire.
# <math> C</math> est non vide;
# <math> C</math> comme union de sections commençantes est une section commençante;
# Pour tout majorant <math>(M,N)</math> de <math>X</math>, et tout <math>(A,B)</math> de <math> X</math>, on a <math> A \subset M </math> donc <math>C \subset M</math>. En particulier, <math> C \neq E</math>
# Par construction, pour tout <math>(A,B)</math> de <math> X</math>, <math>A \subset C</math>
Les points 1, 2 et 3 permettent d'affirmer que <math> C</math> est une partie propre de <math>E</math> stable par minorant donc que <math> (C,\overline C)</math> est bien une coupure de <math>E</math>.

Le point 4 assure que <math> (C,\overline C)</math> est un majorant de <math>X</math>

Le point 3 assure que <math> (C,\overline C)</math> est bien le plus petit des majorants.
}}

== Notes et références ==
{{Références}}

== Bibliographie ==

* {{Ouvrage|langue=de|auteur1=Richard Dedekind|titre=Stetigkeit und irrationale Zahlen|éditeur=F. Vieweg und sohn|année=1872|lire en ligne=https://archive.org/details/stetigkeitundir00dedegoog/page/n21/mode/1up}}

* {{Ouvrage|langue=de|auteur1=Richard Dedekind|titre=Stetigkeit und irrationale Zahlen.|éditeur=Opera -Platonis|année=2013|lire en ligne=https://people.math.ethz.ch/~halorenz/4students/Begleitseminar/Dedekind.pdf}}

== Voir aussi ==
* [[Nombre surréel]]
* {{Lien|trad=Dedekind–MacNeille completion|Complétion de Dedekind-MacNeille}}
* [[Richard Dedekind]]

{{Portail|mathématiques}}

[[Catégorie:Théorie des ordres]]