Application exponentielle

En mathématiques, et plus précisément en géométrie différentielle, l'application exponentielle généralise la fonction exponentielle usuelle à toutes les variétés différentielles munies d'une connexion affine.
Deux cas particuliers importants en sont l'application exponentielle allant d'une algèbre de Lie vers un groupe de Lie, et l'application exponentielle d'une variété munie d'une métrique riemannienne.
Définition générale
Soit Modèle:Mvar une variété différentielle, et Modèle:Mvar un point de Modèle:Mvar. Si Modèle:Mvar est munie d'une connexion affine, on peut définir la notion de géodésique passant par Modèle:Mvar[1]. Soit alors Modèle:Math un vecteur tangent en Modèle:Mvar à la variété. Il existe une unique géodésique Modèle:Math telle que et de vecteur tangent initial Modèle:Math. L'application exponentielle correspondante est définie par Modèle:Math. En général, cette application n'est définie que localement, c'est-à-dire qu'elle n'envoie qu'un petit voisinage de l'origine de Modèle:Math vers un voisinage de Modèle:Mvar dans la variété ; ceci vient de ce que son existence relève du théorème de Cauchy-Lipschitz, lequel est par nature local. On dit qu'une connexion affine est complète si l'application exponentielle est définie en tout point du fibré tangent.
Cas des groupes de Lie
Dans la théorie des groupes de Lie, l'application exponentielle est une application allant de l'algèbre de Lie d'un groupe Modèle:Mvar vers ce groupe, qui permet de recapturer la structure locale de Modèle:Mvar à partir de celle de l'algèbre. L'existence de cette application est l'une des principales justifications pour étudier les groupes de Lie à l'aide de leurs algèbres.
La fonction exponentielle ordinaire de l'analyse réelle est un cas particulier d'application exponentielle, en prenant pour Modèle:Mvar le groupe multiplicatif des réels non nuls (dont l'algèbre de Lie est le groupe additif formé de tous les réels). L'application exponentielle d'un groupe de Lie satisfait de nombreuses propriétés analogues à celle de l'exponentielle usuelle, mais présente aussi avec elle d'importantes différences.
Définitions
Soit Modèle:Mvar un groupe de Lie et son algèbre de Lie (que l'on peut identifier à l'espace tangent à l'élément neutre de Modèle:Mvar). L'application exponentielle peut être définie de plusieurs façons :
- C'est l'application exponentielle d'une connexion affine canonique invariante à gauche sur Modèle:Mvar, telle que le transport parallèle soit donné par les translations à gauche.
- C'est aussi l'application exponentielle d'une connexion affine canonique invariante à droite sur Modèle:Mvar. Ces deux connexions sont en général distinctes, mais elles possèdent les mêmes géodésiques (orbites de sous-groupes à un paramètre agissant par la multiplication à gauche ou à droite), donc donnent naissance à la même application exponentielle.
- Elle est donnée par Modèle:Math, où est l'unique sous-groupe à un paramètre de Modèle:Mvar dont le vecteur tangent à l'identité est égal à Modèle:Mvar. On déduit aisément de la règle de dérivation des fonctions composées que Modèle:Math. L'application Modèle:Math peut être construite comme courbe intégrale du champ de vecteurs (invariant à gauche ou à droite) associé à Modèle:Mvar. Le fait que la courbe intégrale existe pour toutes les valeurs (réelles) du paramètre résulte, par translation gauche ou droite, de son existence près de zéro.
- Si Modèle:Mvar est un groupe de matrices, alors l'application exponentielle coïncide avec l'exponentielle de matrices, et est donné par le développement en série usuel :
- (où Modèle:Mvar est la matrice identité).
- Si Modèle:Mvar est compact, il a une métrique riemannienne invariante par translations gauche et droite, et l'application exponentielle est aussi l'application exponentielle de cette métrique.
Exemples
- Le cercle unité centré en 0 du plan complexe est un groupe de Lie (appelé le groupe du cercle, et noté T ; c'est le sous-groupe multiplicatif des complexes de module 1) dont l'espace tangent en 1 peut être identifié avec l'axe des imaginaires purs, L'application exponentielle de ce groupe est donnée par c'est-à-dire par l'exponentielle complexe.
- Dans le plan des nombres complexes déployés la ligne imaginaire représente l'algèbre de Lie du groupe hyperbolique , puisque l'application exponentielle est donnée par
- La 3-sphère unité Modèle:Math, centrée en 0 dans l'espace des quaternions H est un groupe de Lie (isomorphe au groupe spécial unitaire Modèle:Math) dont l'espace tangent en 1 peut être identifié à l'espace des quaternions imaginaires purs, L'application exponentielle de ce groupe de Lie est donnée par
- Cette application envoie la 2-sphère de rayon Modèle:Mvar de l'ensemble des quaternions imaginaires purs vers une 2-sphère de rayon Modèle:Math si .
Propriétés
- Pour tous les , l'application Modèle:Math est le seul sous-groupe à un paramètre de Modèle:Mvar dont le vecteur tangent à l'identité est Modèle:Mvar. Il en résulte que :
- L'application exponentielle est différentiable. Sa dérivée en 0, , est l'application identité (avec les identifications usuelles). L'application exponentielle, par conséquent, a une restriction qui est un difféomorphisme d'un voisinage de 0 dans vers un voisinage de 1 dans Modèle:Mvar.
- L'image de l'application exponentielle est toujours contenue dans la composante connexe de l'identité de Modèle:Mvar.
- Quand Modèle:Mvar est compact, l'application exponentielle est surjective sur cette composante.
- Quand Modèle:Mvar est nilpotent et connexe, l'application exponentielle est un difféomorphisme local surjectif[2], et même un difféomorphisme global si Modèle:Mvar est de plus simplement connexe.
- Pour , l'application exponentielle est surjective (cf. « Logarithme d'une matrice »).
- Pour (connexe et simplement connexe), l'application exponentielle n'est pas surjective[3].
- L'application Modèle:Math est la courbe intégrale passant par l'identité pour les deux champs de vecteurs (invariants à droite et à gauche) associés à Modèle:Mvar.
- La courbe intégrale passant par Modèle:Math de Modèle:Mvar, le champ de vecteurs invariant à gauche associé à Modèle:Mvar est donnée par Modèle:Math. De même, celle du champ invariant à droite Modèle:Mvar est donnée par Modèle:Math. Il en résulte que les flots engendrés par les champs Modèle:Math sont donnés par :
Comme ces champs sont définis globalement, tout champ de vecteurs invariant à droite ou à gauche sur Modèle:Mvar est complet.
- Soit un homomorphisme de groupes de Lie, et soit sa dérivée en l'identité. Alors le diagramme ci-dessous commute :

- En particulier, appliqué à l'action adjointe d'un groupe Modèle:Mvar, nous avons
Géométrie riemannienne

En géométrie riemannienne, une application exponentielle est une application allant d'un sous-espace d'un espace tangent Modèle:Math d'une variété riemannienne (ou pseudo-riemannienne) Modèle:Mvar vers Modèle:Mvar elle-même. La métrique (pseudo)-riemanienne détermine une connexion affine canonique (la connexion de Levi-Civita), et l'application exponentielle de la variété est donnée par l'application exponentielle de cette connexion.
Propriétés
De façon intuitive, l'application exponentielle prend un vecteur tangent à la variété, et parcourt la géodésique issue de ce point et dans cette direction pendant une unité de temps. Comme Modèle:Mvar correspond au vecteur-vitesse sur la géodésique, la distance (riemannienne) réellement franchie en dépendra. Reparamétrant les géodésiques pour qu'elles soient parcourues à vitesse unitaire (paramétrage par la longueur de l'arc), on peut définir Modèle:Math, où Modèle:Math est la géodésique dans la direction de Modèle:Mvar. Quand Modèle:Mvar varie, on obtient, en appliquant Modèle:Math, différents points de Modèle:Mvar qui sont équidistants (pour la métrique) du point de base Modèle:Mvar ; c'est peut-être une des façons les plus concrètes de voir que l'espace tangent est une sorte de "linéarisation" de la variété.
Le théorème de Hopf-Rinow affirme qu'il est possible de définir l'application exponentielle sur tout l'espace tangent si et seulement si la variété est complète en tant qu'espace métrique (ce qui justifie l'expression de variété géodésiquement complète pour une variété ayant une application exponentielle de ce type). En particulier, les variétés compactes sont géodésiquement complètes. Cependant, même si Modèle:Math est définie sur tout l'espace tangent, ce ne sera pas en général un difféomorphisme global. Toutefois, sa différentielle à l'origine de l'espace tangent est l'application identité, et donc, d'après le théorème des fonctions implicites, on peut trouver un voisinage de l'origine de Modèle:Math dans lequel l'application exponentielle est un plongement (autrement dit, l'application exponentielle est un difféomorphisme local). Le rayon de la plus grande boule centrée en l'origine de Modèle:Math qui s'applique difféomorphiquement par Modèle:Math s'appelle le rayon d'injectivité de Modèle:Mvar en Modèle:Mvar.
Une importante propriété de l'application exponentielle est le lemme de Gauss suivant : étant donné un vecteur tangent Modèle:Mvar dans le domaine de définition de Modèle:Math, et un autre vecteur Modèle:Mvar basé à l'extrémité de Modèle:Mvar (ainsi Modèle:Mvar est en fait dans l'espace tangent de l'espace tangent Modèle:Math et orthogonal à Modèle:Mvar, il reste orthogonal à Modèle:Mvar lorsqu'il est poussé par l'application exponentielle. Cela signifie en particulier, que la sphère frontière d'une petite boule autour de l'origine de Modèle:Math est orthogonale aux géodésiques dans Modèle:Mvar déterminées par ces vecteurs (autrement dit, les géodésiques sont radiales). Ceci amène à la définition des coordonnées géodésiques normales sur une variété riemannienne.
L'application exponentielle est aussi un outil utile pour relier la Modèle:Lien à sa représentation plus concrète due à Riemann lui-même, la courbure sectionnelle, que l'on peut intuitivement définir comme la courbure de Gauss d'une certaine surface (c'est-à-dire une coupe de la variété par une sous-variété de dimension 2) passant par le point Modèle:Mvar considéré. La courbure abstraite peut être alors définie précisément comme la courbure de Gauss d'une surface passant par Modèle:Mvar, déterminée par l'image par Modèle:Math d'un sous-espace de dimension 2 de Modèle:Math.
Relations entre les applications exponentielles
Dans le cas de groupes de Lie avec une métrique pseudo-riemannienne invariante par translation à droite et à gauche, les applications exponentielles de la métrique coïncident avec celles du groupe. Tous les groupes de Lie n'ont pas une telle métrique, mais c'est le cas des groupes de Lie semi-simples et connexes. L'existence d'une métrique riemannienne bi-invariante est une condition plus forte, qui implique que l'algèbre de Lie est celle d'un groupe de Lie compact ; réciproquement, tout groupe de Lie compact (ou abélien) possède une telle métrique riemannienne.
Prenons par exemple la fonction exponentielle usuelle. Partant de l'ensemble des réels positifs R+ considérés comme un groupe de Lie pour la multiplication usuelle, l'espace tangent en chaque point est (isomorphe à) R. Sur chaque copie de R au point Modèle:Mvar, nous définissons le produit scalaire
(c'est ce facteur Modèle:Math qui rend la métrique invariante à gauche).
Considérons le point Modèle:Math, et soit Modèle:Math un élément de l'espace tangent en 1. La droite partant de 1, c'est-à-dire Modèle:Math, a évidemment la même trajectoire qu'une géodésique, mais nous devons la reparamétrer pour obtenir un parcours à vitesse constante (au sens de la nouvelle métrique). Il faut donc utiliser comme nouveau paramètre la longueur d'arc, c'est-à-dire l'intégrale de la norme du vecteur tangent, pour la norme Modèle:Math induite par la nouvelle métrique :
et après inversion pour obtenir Modèle:Mvar en fonction de Modèle:Mvar, on a finalement
- .
Utilisant la définition de la vitesse unité, on obtient
ce qui est, comme prévu, l'exponentielle ordinaire Modèle:Math.
La distance riemanienne correspondante est simplement
- ,
une métrique familière à tous ceux ayant utilisé une échelle logarithmique.
Notes et références
- ↑ Voir Modèle:Ouvrage, § III.6 ; ces auteurs utilisent « connexion linéaire » là où nous employons « connexion affine ».
- ↑ Modèle:Ouvrage, corollaire 4.4.
- ↑ Pour une description de son image, voir par exemple Modèle:Ouvrage, exercice 3.22.
Voir aussi
Articles connexes
- Équation fonctionnelle
- Équation fonctionnelle de Cauchy, § « Importance de l'équation »
- Formule de Baker-Campbell-Hausdorff