Forme différentielle de degré un
En géométrie différentielle, les formes différentielles de degré un, ou 1-formes (différentielles), sont les exemples les plus simples de formes différentielles.
Une 1-forme différentielle sur un ouvert d'un espace vectoriel normé est un champ de formes linéaires c'est-à-dire une application, qui, à chaque point de l'espace, fait correspondre une forme linéaire. Plus généralement, on peut définir de telles formes linéaires sur une variété différentielle. La définition d'une 1-forme est analogue à celle d'un champ de vecteurs ; ces deux notions sont d'ailleurs en dualité. Pour cette raison, les 1-formes différentielles sont parfois appelées des covecteurs ou champs de covecteurs, en particulier en physique.
L'exemple le plus simple de 1-forme différentielle est la différentielle d'une fonction numérique Modèle:Math, qui se note Modèle:Math. Réciproquement, à partir d'une forme différentielle Modèle:Math, on peut rechercher s'il existe une fonction primitive de Modèle:Math, c'est-à-dire telle que Modèle:Math. Une condition nécessaire pour l'existence d'une telle fonction Modèle:Math est que la forme différentielle soit fermée. Mais cette condition n'est généralement pas suffisante, et le défaut d'existence est relié à la topologie du domaine considéré. Il est mesuré par un élément de ce qui est appelé le premier groupe de cohomologie de De Rham.
Par extension, il est possible de définir des 1-formes différentielles à valeurs dans des espaces vectoriels. Parmi les 1-formes différentielles remarquables, il faut citer les formes de contact et les connexions d'Ehresmann. Toutefois leurs définitions nécessitent une meilleure connaissance des formes différentielles et du calcul différentiel extérieur.
Motivation et premiers exemples
Les accroissements infinitésimaux
Les notations différentielles sont couramment utilisées de façon informelle en sciences physiques, pour désigner l'accroissement très petit d'une variable. Pour une variable réelle, le mot « accroissement » est pris en un sens algébrique, c'est-à-dire qu'un accroissement peut être compté positivement ou négativement. Il est également possible de parler de l'accroissement infinitésimal d'un vecteur variable.
Ainsi, en cinématique, on note les variables d'espace, et la variable de temps, rapportées à un certain référentiel. Les variations infinitésimales correspondantes seront respectivement notées . Dans l'étude du mouvement d'un point mobile, donné par des fonctions , lors du passage du temps à un temps infiniment voisin , les variables d'espace subissent des accroissements donnés par les coordonnées du vecteur vitesse instantanée
On peut également donner l'accroissement vectoriel du vecteur position
Le mode d'introduction choisi cache la nécessité d'introduire les dérivées par un calcul de limite. En effet, même pour des variations très petites, il faudrait introduire un terme d'erreur. Ces formules prennent pourtant un véritable statut mathématique, et sont parfaitement rigoureuses, si on définit correctement les « formes différentielles » .
On peut obtenir le déplacement total, c'est-à-dire la variation totale de la fonction position entre deux points et (correspondant aux temps et ) par un calcul d'intégrale :
C'est là une propriété générale des formes différentielles : il est possible de les « sommer » le long d'un chemin. Sur cet exemple, cela fournit un calcul de la variation globale d'une fonction.
Différentielles totales
Les problèmes à plusieurs variables font un large emploi des notations différentielles. Quand elle existe, la différentielle d'une fonction de deux variables s'écrit à l'aide des dérivées partielles :
De nouveau, cette relation s'interprète physiquement, en termes de variations infinitésimales : pour calculer l'accroissement de , on peut ajouter d'une part l'accroissement infinitésimal de en considérant fixé, d'autre part l'accroissement infinitésimal de en considérant fixé. On pourrait généraliser à plus de deux variables.
Ainsi, dans la description des systèmes thermodynamiques, les variables et fonctions d'état décrivent l'état d'un système à l'équilibre. Par exemple, pour le gaz parfait, l'équation permet d'exprimer le volume comme fonction de la pression et de la température, puis d'en calculer la différentielle
Lors d'une transformation, l'énergie thermique élémentaire échangée (improprement appelée quantité de chaleur) admet une expression de la forme
C'est une forme différentielle, un objet mathématique de même nature que les exemples précédents, mais qui ne peut pas s'écrire comme la différentielle d'une fonction des variables d'état qui décrivent le système : il n'y a pas de fonction « chaleur », ce qui explique qu'on préfère la notation à .
Les différentielles « totales » (ou « exactes »), issues de la différentiation d'une fonction, ne sont donc qu'un cas particulier des formes différentielles de degré 1. Une de leurs propriétés est que l'intégrale d'une forme différentielle exacte le long d'un chemin ne dépend que des extrémités et de ce chemin. Traduit en termes de thermodynamique, la variation d'une fonction d'état dépend uniquement des états final et initial du système à l'équilibre.
Formes différentielles sur un ouvert de l'espace euclidien
Modèles locaux
Les modèles locaux en géométrie différentielle sont les ouverts d'espaces vectoriels de dimension finie. Les objets et leurs propriétés peuvent se définir sur de tels espaces ; leurs invariances par difféomorphismes autorisent ensuite le passage aux variétés.
Soient Modèle:Math un espace vectoriel réel de dimension finie et Modèle:Math un ouvert de Modèle:Math. Une forme différentielle de degré 1 et de classe CModèle:Exp sur Modèle:Math est une application Modèle:Math de classe CModèle:Exp de Modèle:Math dans l'espace dual Modèle:Math de Modèle:Math. En chaque point Modèle:Math de Modèle:Math, Modèle:Math est donc une forme linéaire, qui peut être appliquée à un vecteur Modèle:Math de Modèle:Math : Modèle:Math est donc un scalaire (un réel ou un complexe).
En dimension finie, le choix d'une base de Modèle:Math permet d'exprimer les 1-formes différentielles. Si une base Modèle:Math de Modèle:Math est donnée, il lui est associé la base duale de Modèle:Math, notée Modèle:Math : Modèle:Math, également notée Modèle:Math, est la forme linéaire qui à tout vecteur associe sa Modèle:Math-ème coordonnée dans la base Modèle:Math. Sa dérivée en tout point Modèle:Math, Modèle:Math, est simplement notée Modèle:Math.
Toute forme linéaire sur Modèle:Math s'exprime de manière unique comme combinaison linéaire des Modèle:Math ; de même, la forme différentielle Modèle:Math s'exprime de manière unique sous la forme :
où sont des fonctions de classe CModèle:Exp sur Modèle:Math. Certains auteurs écrivent cette identité de manière plus condensée en utilisant la convention de sommation d'Einstein :
Changement de coordonnées
L'algèbre linéaire montre comment l'expression d'une forme linéaire dans une base dépend de cette dernière. Plus exactement, son expression dans une nouvelle base se déduit par l'action de la transposée de la matrice de passage. Si Modèle:Math et Modèle:Math sont deux bases de Modèle:Math, et si sont les expressions d'une même forme linéaire de Modèle:Math respectivement dans les deux bases, alors où Modèle:Math est la matrice de passage de Modèle:Math à Modèle:Math.
En géométrie différentielle se rencontrent des changements de coordonnées locales qui correspondent à des difféomorphismes. Il apparaît nécessaire de comprendre comment un difféomorphisme agit sur une 1-forme différentielle définie sur un ouvert d'un espace vectoriel. Si est une application différentiable de classe CModèle:Exp entre deux ouverts d'un même espace vectoriel normé Modèle:Math et Modèle:Math est une 1-forme différentielle de classe CModèle:Exp sur Modèle:Math, on définit une 1-forme différentielle de classe CModèle:Exp sur Modèle:Math, appelée image réciproque de Modèle:Math, par :
L'expression des 1-formes différentielles a été choisie pour que les calculs puissent être menés sans difficulté. Si Modèle:Math et Modèle:Math sont deux bases de Modèle:Math, et que Modèle:Math s'exprime dans la base Modèle:Math :
alors l'expression de dans la base Modèle:Math est :
Définition sur les variétés
Une variété Modèle:Math de classe CModèle:Exp peut être décrite comme un ensemble d'ouverts de l'espace Modèle:Math, recollés par des difféomorphismes de classe CModèle:Exp, les changements de cartes. Une 1-forme différentielle de classe CModèle:Exp sur Modèle:Math est la donnée d'une 1-forme différentielle sur chacun de ces ouverts telle que ces formes se correspondent par l'action des changements de carte. Plus exactement, c'est un champ de formes linéaires sur les espaces tangents .
Lien avec les champs de vecteurs
Si Modèle:Math est muni d'un produit scalaire (et de dimension finie), il existe un isomorphisme entre Modèle:Math et son dual. On peut donc établir une correspondance entre formes différentielles et champs de vecteurs : si Modèle:Math est une forme différentielle sur Modèle:Math, il existe un unique champ de vecteurs Modèle:Math sur Modèle:Math tel que
À la notion de [[#Exactitude|forme différentielle exacte ayant Modèle:Math pour primitive]] correspond alors celle de champ de gradient, dérivant du potentiel Modèle:Math :
Exactitude
Lorsqu'une forme différentielle Modèle:Math est la différentielle d'une certaine fonction Modèle:Math, on dit que Modèle:Math est exacte et que Modèle:Math en est une primitive. Il existe des formes différentielles qui n'ont pas de primitive. Sur un ouvert connexe, lorsqu'une primitive existe, elle est unique à ajout d'une constante près.
Forme différentielle fermée
Sur un ouvert Modèle:Math d'un espace de dimension Modèle:Math, une forme différentielle est dite fermée lorsque
Cette définition est invariante par changement de coordonnées (calcul immédiat). De fait, il est possible de définir les formes différentielles fermées sur une variété de dimension Modèle:Math comme des 1-formes différentielles s'exprimant ainsi dans des cartes locales.
En vertu du théorème de Schwarz, si une forme différentielle est exacte, elle est nécessairement fermée. Le lemme de Poincaré affirme que les deux propriétés sont équivalentes lorsque Modèle:Math est difféomorphe à un ouvert étoilé. Ce lemme se réinterprète en termes de cohomologie (voir ci-dessous).
Ce n'est pas le cas par exemple sur le plan ℝModèle:2 privé du point 0 ; ainsi la forme différentielle suivante est fermée sans être exacte :
En effet (cf. § « Changement de coordonnées »), son image réciproque par le difféomorphisme local est la forme exacte Modèle:Math, donc son intégrale sur tout lacet faisant une fois le tour de l'origine, dans le sens trigonométrique, est non nulle (égale à Modèle:Math).
Intégrale curviligne
Modèle:Article détaillé Soit Modèle:Math une forme différentielle de degré 1 sur un ouvert Modèle:Math et Modèle:Math un arc paramétré tracé sur Modèle:Math. L'intégrale de Modèle:Math le long de Modèle:Math est définie comme
Si l'on reparamètre Modèle:Math en respectant l'orientation, la valeur de cette intégrale est inchangée. On peut donc parler d'intégrale de la forme différentielle le long d'un arc géométrique orienté.
Dans le cadre euclidien, la notion qui correspond à l'intégrale d'une forme différentielle le long d'un arc est la circulation du champ de vecteurs associé le long de cet arc.
Mais la définition ci-dessus a l'avantage de ne faire appel à aucune structure supplémentaire (alors que la circulation d'un champ de vecteurs fait intervenir le produit scalaire). Ainsi, cette définition s'étend telle que quand on passe des ouverts de ℝModèle:Exp aux variétés : pour tout Modèle:Math, Modèle:Math est un vecteur tangent au point Modèle:Math, Modèle:Math est une forme linéaire sur l'espace tangent en Modèle:Math, et donc Modèle:Math est un nombre, exactement comme dans le cas des ouverts de l'espace euclidien.
Intégrale et primitives
Si Modèle:Math est une forme différentielle exacte, de primitive Modèle:Math, son intégrale est donnée par
Dans ce cas, l'intégrale ne dépend que des extrémités de l'arc Modèle:Math. Notamment, si ce dernier est un arc fermé (Modèle:Math), l'intégrale est nulle.
En physique, le travail d'une force se calcule par une intégrale curviligne et, dans le cas d'une force conservative, ne dépend pas du chemin parcouru.
Sur une variété, une 1-forme différentielle est exacte si et seulement si son intégrale curviligne sur tout arc fermé est nulle. Elle est fermée si et seulement si son intégrale sur un arc fermé ne dépend de ce dernier qu'à homotopie près.
Théorèmes de Green et de Stokes
Le théorème de Green concerne les formes différentielles sur un ouvert Modèle:Math du plan. Soit Modèle:Math un domaine compact de Modèle:Math délimité par un lacet simple Modèle:Math, orienté dans le sens trigonométrique et C1 par morceaux. Soit une 1-forme de classe CModèle:1 sur Modèle:Math. Alors
Avec un cadre conceptuel convenable, le théorème peut être généralisé pour un ouvert Modèle:Math d'un espace de dimension plus grande. On obtient alors le théorème de Stokes.
Pour l'énoncer, il faut introduire la dérivée extérieure de Modèle:Math. C'est une forme différentielle de degré 2, c'est-à-dire un champ sur Modèle:Math de formes bilinéaires antisymétriques. Son expression est donnée par la formule
Dans cette expression, les 2-formes sont les vecteurs de la base canonique de l'espace des formes bilinéaires antisymétriques sur Modèle:Math. La différentielle extérieure de est nulle si et seulement si Modèle:Math est une forme différentielle fermée.
On considère alors une surface Modèle:Math de bord Modèle:Math. Moyennant des hypothèses de régularité et des conventions d'orientation convenables, on obtient le théorème de Stokes :
Ce théorème pourrait encore être étendu en considérant des formes différentielles de degré quelconque. Il est nécessaire pour cela d'introduire les concepts généraux d'algèbre extérieure, de différentielle extérieure, d'intégrale d'une forme différentielle.
Premier groupe de cohomologie
Modèle:Article détaillé Le premier groupe de cohomologie de de Rham est défini comme le quotient de l'espace des 1-formes différentielles fermées par le sous-espace des 1-formes différentielles exactes. Ce quotient est usuellement noté .
L'ensemble des arcs fermés basés en un point Modèle:Math modulo homotopie forme un groupe pour la concaténation, appelé le groupe fondamental de Modèle:Math et noté Modèle:Math. On peut montrer que l'intégration d'une forme différentielle fermée définit un morphisme de Modèle:Math dans ℝ. Par ce qui précède, ce morphisme est nul si et seulement si la forme différentielle est exacte. On dispose donc d'une application linéaire injective :
où Modèle:Math désigne l'ensemble des morphismes de groupes, ici muni d'une structure naturelle de ℝ-espace vectoriel. Cette injection est un isomorphisme.
Par exemple, on a :